dimanche 19 août 2012

De profundis

J'implore ta pitié, Toi, l'unique que j'aime,
    Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.
    C'est un univers morne à l'horizon plombé,
    Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème ;
   
   
    Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,
    Et les six autres mois la nuit couvre la terre ;
    C'est un pays plus nu que la terre polaire ;
    —Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois !
   
   
   
    Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasse
    La froide cruauté de ce soleil de glace,
    Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos ;
   
   
    Je jalouse le sort des plus vils animaux
    Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide.
    Tant l'écheveau du temps lentement se dévide !


Charles Baudelaire 



Depuis le mois de mai, s'il faut mettre un nom sur les choses, j'ai vécu dans un état quasi dépressif, ou plutôt bi-polaire. En dents de scie, sans arrêt. Je crois que je n'ai jamais été aussi lunatique. J'ai passé des moments tels que je j'en venais à me demander ce qu'on faisait tous en vie, tant nos gesticulations me paraissaient ridicules face au poids écrasant de la tristesse. J'ai toujours été d'un naturel mélancolique, mais j'ai re-découvert la tristesse à l'état pur, celle qui est laide, celle qu'il est impossible d'esthétiser, et qui me laisse totalement démunie. Mon truc, comme dirait je ne sais plus qui, c'est de transformer la boue en or. Mais je me suis retrouvée face à des émotions que je me suis aperçue incapable de transfigurer. J'ai touché le fond plusieurs fois, j'ai même creusé, je crois. Et j'ai surtout eu l'impression de surnager à la surface. Et j'ai eu de grandes bouffées d'euphorie, des idées plein la tête, des mots qui se précipitaient sous mes doigts.
J'en ressors grandie, renforcée. Je progresse dans mon apprentissage de la sérénité, celle qui permet de surmonter la vie, non en la fuyant, mais au contraire en la vivant pleinement, avec tout ce qu'elle peut contenir. C'est ainsi que j'ai compris Nietzsche : tout vouloir, même le pire. On n'en finit jamais de grandir. Jamais on n'accumule un savoir total, absolu. On commets sans cesse des erreurs, et surtout on tâtonne en essayant de retenir le temps.
Mes histoires... Chantiers ouverts. Terre éventrée mettant à nue ses entrailles. Mais immobile, en attendant que les pierres brutes soient sculptées. Attendre de trouver la sortie du labyrinthe. Le langage s'affaiblit, puis s'effrite. Toujours à la recherche, désespérée et stupide, de la prochaine phrase.

L'été est toujours pour moi une période privilégiée pour l'introspection. D'où sans doute ma déprime profonde de ces dernières semaines. Cela m'amène également, chose positive, à revenir sur mes fondamentaux. L'adolescence. Les premiers amours sont ceux qu'on n'oublie jamais.
Si je dois choisir deux films qui ont changé ma vie, les voilà.
Requiem for a dream. Ce film m'a rendu malade. L'impression que j'en garde, c'est ce souvenir : demain, je dois aller au collège. Et je ne comprends pas comment je peux accorder une foutue importance à l'école après ça. Comment réconcilier la vie quotidienne avec l'énorme baffe que je me suis prise dans la figure. Rien ne me semblait pouvoir réparer ça. Et aujourd’hui je pense toujours que la vie et ce film sont irréconciliables.
Dead poets society. Sans déconner, j'ai pleuré toute la soirée. Je me rappelle que mes parents m'avaient demandé de faire la salade, et que je l'avais préparé en pleurant. Heureusement, je n'ai aucun souvenir du dîner, que j'ai dû écourter. Je me demande maintenant ce que mes parents ont pensé. Peut-être ont-ils cru à une histoire de cœur. Je devais avoir quatorze ou quinze ans. Si on m'avait demandé pourquoi je pleurais, très honnêtement je n'aurais pas su le dire. J'étais simplement bouleversée. Je le suis toujours rien qu'en y pensant. C'est quelque chose qui ne s'explique pas, quelque chose qui est à peine contenu dans le film. The best film ever. C'est tout.
C'est bon de se retrouver. Quand l'introspection amène à autre chose qu'à des doutes dévorants et à des angoisses impossibles. Quand on sent qu'elle donne une force supplémentaire. Une impression d'abondance. Je suis riche de mondes à venir. J'y travaille avec acharnement, à pister une phrase après l'autre. Je pourchasse mes rêves. Mes fantômes qui se défilent. Tous les démons qui parlent avec ma voix.



Avec tout cela je ne résiste pas et laisse le mot de la fin aux Pink Floyd (autre séisme de mon adolescence)






....
...Des fois je voudrais maudire tous ces gens : (désolée de m'exprimer par films interposés :) Voici ce que je ressens maintenant.




2 commentaires:

  1. Merci pour cet extrait du Cercle des Poètes Disparus, merci, merci :)

    J'ai dû voir ce film au moins cinq fois je pense, et à chaque fois j'ai les mains qui tremblent avant même que cette scène ne commence.

    Je suis souvent à ce point terrassée par l'inutilité de nos gesticulations, qui sont si, comme le disent les Anglais, "pointless", que je peux rester des jours sans rien faire d'autre que de m'enfoncer, dans la terreur et l'aigreur. Les préoccupations auxquelles je devrais me consacrer me sont si lointaines, si indifférentes, que "je verrai bien demain" est devenu, plus qu'un credo, un art de vivre.
    Mais la tristesse, ce n'est qu'une manière de voir les choses. Et bien que cela soit plus facile de faire des discours que de les vivre, eh bien, je crois vraiment que nous devons monter sur la table, et voir le monde selon un nouvel angle. Je crois que, même désespéré, il faut être DEBOUT. C'est tout ce qui compte.
    Et ce désespoir que tu ressens, tu ne pourras l'anéantir qu'en le regardant en face. Pas en le fuyant, pas en essayant de t'agiter, de "faire des trucs", parce que ça rend toutes ces choses encore plus débiles. Tu ne peux pas vaincre la tristesse en l'ignorant. Quitte à laisser tourner le monde pendant deux semaines, il faut se battre avec elle.
    C'est ce que je crois.
    Et alors peut-être, tu verras autre chose. Tu verras que tout ce qui te rend triste, c'est ce qui fait ta force, que c'est ton dégoût du monde qui fait de toi qui tu es, et, franchement, je demeure persuadée que c'est très bien, que tu sois tout cela, car le monde est déjà assez chiant comme ça. Transforme ta tristesse en colère, le désespoir en détermination. Puisque rien n'a de sens... alors à quoi bon s'en attrister? :)

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  2. Oui, tu as tout à fait raison, d'ailleurs je m'étais appropriée dans ce même sens la phrase de Don Juan rapportée par Castaneda : "Un guerrier ne baisse jamais la tête, mais il n'accepte pas non plus qu'un autre baisse la tête devant lui".
    Le problème en fait, c'est l'obsession qui me taraude de raconter tout cela. D'en faire quelque chose de beau. Exactement comme ces extraits de films que j'ai mis, qui subliment ces émotions. Et le truc, c'est que je n'y arrive pas très bien. Je doute tout le temps d'y arriver un jour. C'est comme pour mon roman : un jour, j'y crois, le lendemain, je trouve ça tout pourri. Croire en sa propre création, c'est peut-être ça le plus difficile. J'ai toujours eu la secrète ambition d'écrire un truc qui puisse bouleverser quelqu'un autant que moi j'ai été bouleversée devant telle ou telle oeuvre. Et j'ai peur de ne pas en être capable et de finir comme Salieri à absoudre les médiocres. Mais peut-être est-ce malsain de s'accrocher à cela, et surtout de regarder toujours les oeuvres des autres d'en bas. Changer d'angle. Trouver mes propres mots et ma propre forme. Je n'aurais jamais cru que ça allait être si compliqué. Mais je suppose que l'aventure en vaut le coup.

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