mercredi 2 novembre 2011

Un vieux message finalement posté :)

Une petite tartine « philosophique ». J’allais m’en excuser, mais après tout, le web c’est tribune libre, personne n’est obligé de me lire:)


It feels so quiet, being there all day long, so peaceful it is, just reading while watching a complete review of Harry Potter’s movies. I think I needed it.

Je me sens un peu seule, j’aimerais aller sur internet, mon regard accroche des détails, je m’interroge sur des mots, je retourne un problème de terminologie. La nuit tombe tôt à présent, et l’obscurité a déjà presque tout recouvert. J’ai la tête remplie de mots et de traductions. Tout l’après midi s’est déroulé comme baigné d’une lueur magique, l’automne qui s’installe et les couleurs dans les arbres qui se détachent contre ce ciel gris qui n’a pour moi rien de morose. Chaque fois il m’évoque cette envie d’enfant de me perdre, de raconter des histoires, et surtout de me perdre dans les histoires. C’est si bon de s’isoler, de sa cacher aux yeux du monde, de disparaître ne serait-ce que pour un jour... J’ai faim et la bière me monte à la tête. Un peu engourdie, je regarde le temps passer en écoutant de la musique, après avoir travaillé toute la journée. Cette vie paraît contestable aux yeux, je pense, du plus grand nombre, mais c’est celle qui me convient... Je n’arrive jamais à m’accrocher, à me concentrer tout à fait sur le « réel ». Je finis toujours par me dissiper, me diluer, me volatiliser. J’aime passer du temps juste à sentir ce qui bouge dans mes entrailles, comme une femme enceinte se délecte du moindre mouvement de la petite chose qu’elle abrite. Je me sens riche et pleine. Le quotidien, les gens, la lumière crue, les horaires, tout cela a toujours tendance à éroder ce sentiment, à vider mes veines. Alors non, je ne fais pas toujours – loin s’en faut – ce que je suis censée faire. Mais je fais presque toujours ce que j’aime faire. Petite fille gâtée ou non, au moins je ne me plains pas ! Et chaque jour je travaille à mettre au jour ce que les circonstances enfouissent comme autant de briques dans le mur. Tous les jours le mur se reconstruit, tous les jours je le démantèle. Je fais des entorses aux convenances. Je sèche des cours et ne participent pas à « la vie du groupe ». D’une certaine façon, j’ai toujours été égoïste. J’essaie de l’être dans le bon sens, c’est à dire : vivre ma vie, ne jamais abandonner ce qui m’est cher, sans pour autant penser que je suis le centre du monde. Le chemin est long dans cet apprentissage-là. Je n’ai jamais su me plier à des exigences qui me paraissent fondamentalement arbitraires. Sauf quand c’est dans mon propre intérêt. Pas pour faire plaisir aux autres, en tout cas. Pas pour me grandir dans leur regard. Bien que leur regard soit très important. Et si j’explique tout cela, c’est sans doute aussi une autre manière de me faire grandir dans leur regard. J’ai toujours haï l’auto-justification. Mais où se situe exactement la différence entre auto-justification et explication, surtout quand on essaie de faire preuve d’honnêteté ? Je suppose qu’on la sent, et qu’on est de mauvaise foi quand on ne le reconnaît pas. Pour être tout à fait honnête, donc (je garde de profondes séquelles de mon éducation morale et en partie religieuse : toute la vérité, c’est un précepte que tout un chacun fait sien, avec un degré variable d’hypocrisie) : cette réflexion est partie de mon hésitation, qui a mené à un renoncement, à aller à mon cours d’allemand cet après-midi. J’ose affirmer que toutes ces phrases joliment alignées dépassent ce concours de circonstances tout ce qu’il y a de plus banal. J’accorde de l’importance aux cours, et les sécher fait donc l’objet d’un long débat intérieur. Je me suis laissée aller à la flemme, mais aussi à mon instinct. Et j’ai passé une bonne journée.


Note pour l’écriture : il me semble parfois que je ferais mieux d’écrire des bouquins philosophico-poétiques, à la Nietzsche. Mais voilà : j’ai la manie et la prétention de vouloir raconter des histoires. Ce qu’on tirera de cela, seul l’avenir le dira.

Mon sujet à moi, mon problème, ce n’est pas de « corseter dans le glacis d’une narration » (cf Thierry Jonquet) l’horreur, l’indicible, mais plutôt l’ineffable, l’extase. Après pourrait-on m’objecter que l’horreur pure est une expérience de l’absolu. L’est-elle ? J’avoue me poser la question pour la première fois. Je veux dire, la sensation, ou plutôt l’expérience de l’absolu, est-elle nécessairement positive ? Je crois que oui pour cette raison : toutes les souffrances proviennent du moi. L’absolu dont je parle englobe et par-là même dépasse l’horreur. Mais peut-être me donnera-t-on tort ? Et peut-être pourra-t-on même dire que cette expérience de l’absolu est une illusion provenant du moi ? Si c’est le cas, peu importe, puisqu’elle permet de dépasser le moi... Ou peut-être alors je me fourvoie en imaginant me dépasser alors même que je suis engagée dans une démarche profondément narcissique... (et non, je ne suis pas fiévreuse ce soir... peut-être un peu alcoolisée... mais est-ce que je déraille pour autant ?) Mais toutes ces questions sont presque annexes, dans la mesure où je persiste et signe... Pour moi, le seul résultat qui importe, c’est ce que je vais écrire. C’est ma référence absolue. J’ai sans doute de la chance d’avoir cet étrange direction qui n’en est pas vraiment une. La seule chose que je sais, ce n’est pas que je ne sais rien, mais que je dois écrire. Cette conviction, dans son absolutisme, a quelque chose de religieux, et c’est peut-être aussi pour ça que je suis si mystique. Mais il y a autre chose : c’est que je ne me satisfais pas de réponse simple ou d’absence de réponse. Alors peut-être que finalement, la raison de ce mysticisme est très simple : en tant qu’être humain, j’extrapole sur ce que je ne peux pas comprendre... mais finalement, cette conclusion apparemment rationnelle ne me semble faire aucune différence avec la précédente. C’est une bête histoire de terminologie, encore. J’en laisse mon lecteur juge, et, étant entendu qu’un débat sur mes aspirations soit quelque peu fastidieux, je le laisse également libre de passer son chemin, ou mieux encore, d’interroger ses propres aspirations. Car comme je disais à Mathias l’autre jour, pour moi, tout ce qui compte, c’est d’être heureux. Vraiment, je ne vois pas la moindre importance à tout le reste. Jusqu’à preuve du contraire, on n’a qu’une seule vie... Et là je vois que fais exactement l’inverse du pari pascalien. Quand lui parie sur une autre vie pour bien nous conduire et nous restreindre dans cette vie, je parie sur une seule vie pour mettre en valeur celle-ci, et ne la sacrifier à rien d’autre, d’incertain ou de fantaisiste. Quel est le plus raisonnable des deux ? (sachant que cela ne fait pas de moi une hédoniste accomplie qui sacrifierait tout principe moral au plaisir, quoique l’idée soit séduisante. Mais je pense que l’ensemble des principes qu’on s’impose à soi-même, ce que j’appelle l’honneur, construit le bonheur dans le sens où on est fidèle à ses aspirations et à l’image qu’on se fait de soi-même. Il se peut qu’on soit dans l’erreur, mais respecter sa propre nature, c’est pour moi la seule façon d’être heureux... Je me sens affreusement sadienne en disant ça, vue que c’est comme ça que le marquis justifie la violence, mais il y a une part certaine de vérité là-dedans, ce qui rend sa philosophie si séduisante...)

Pour plus de précisions, pour des arguments, pour des arguties (je viens de réapprendre ce mot que j’aime bien), pour des polémiques, pour des continuations et des variations, sonner chez moi avec un pack de bière. À bon entendeur !



samedi 1 octobre 2011

Idées en vrac et fiévreuses (au sens propre)...

.Le soir est un murmure à peine perceptible derrière les fenêtres noires. Les fantômes en farandoles se pressent sur mes vitres. Ils ne m'effraient pas, je suis juste triste en les regardant. La nostalgie... Sehnsucht... Car le mot nostalgie n'est pas suffisant pour exprimer tout ce que ce sentiment peut recouvrir. La nostalgie est aussi une attente obscure, un désir inassouvi. Je crois que quelqu'un l'a traduit par "la nostalgie de l'infini". J'aime cette expression. Pourquoi être nostalgique d'une chose qu'on ne peut concevoir ? Précisément parce que si, on peut la concevoir. Je parcours le Dream, le Rêve, le réseau des itinéraires spirituels. Quel sera mon seuil ? Les Aborigènes ont des lieux sacrés, liés à leur identité (individualité, famille, tribu), qui leurs sont propres, et qui sont des portes. Ils ont aussi des compagnons spirituels, comme les animaux de pouvoir de Don Juan (le mentor de Castaneda, pas le tombeur de ces dames...).
Quel serait mon itinéraire ? Quelle serait ma carte ?
J'en reviens à la perte de la forêt : Robert Harrisson disait dans son livre sur l'imaginaire de la forêt qu'une frontière est là pour définir ce qui reste à l'extérieur, mais aussi ce qu'il y a dedans... Par un étrange paradoxe, nous sédentaires n'avons plus de frontières. Plus d'extérieur ni d'intérieur. Livré à tous les vents. N'est-ce pas étrange, pour nous qui vivons sous un toit, le même tous les soirs ?
Je plonge de plus en plus profondément dans les mots, dans leur matière même. C'est étrange (oui, tout est étrange, et c'est bien comme ça). Des modalités d'expression, des virtualités d'expression, une richesse qu'on finit par oublier quand on se tue à trouver le mot juste, et qu'on retrouve aussi dans la même démarche. écrire, traduire, c'est à la fois retrouver et perdre le langage...
Pour ce soir je ne pourrais pas développer plus avant cette réflexion... Des fragments comme des petits cailloux jetés sur le sentier qui s'enfonce dans les bois...

samedi 14 mai 2011

On the road again

J'ai repris mon cahier à rêves. Il est temps de faire revenir la magie dans ma vie. L'été et ses promesses s'allongent de nouveau sur mon horizon. Je me réconcilie avec moi-même. La joie. Je l'ai cherchée, et souvent trouvée. J'ai aimé, longuement et profondément, et il est resté. Plus que jamais j'ai envie de le ravir et l'enchanter. Je ne sais pas combien de temps durera ma vie. Mais c'est en vain qu'on construit, si on ne perd l'essentiel. Si rien ne me reste, j'aurai besoin de ça. Besoin de cette lueur qui est revenue et qui habite ma poitrine juste en dessous du coeur. Cette lueur qui parfois grossit et rayonne à travers mes os. Cette lumière que je suis la seule à voir. Peut-être... peut-être que parfois elle coule à travers mes mots. Peut-être que parfois on l'aperçoit qui ruisselle sur moi. Je l'espère. Parce que je la porte en moi comme on porte l'infini. Je consignerai chaque rêve, du plus infime au plus grand. Parce qu'ils sont mon univers autant que le vôtre. Ils voyagent dans la réalité sans se faire remarquer. Plus importants que la pluie. Ils rentrent dans la terre et c'est pour ça que le soir, il y a tant de parfums dans les ténèbres. Mon coeur a recommencé à battre. Je sens mon corps partager le monde avec une infinie lenteur. Je n'ai plus aucune crainte. C'est comme voir le soleil se lever après une nuit blanche. J'entends le même chant que quand j'étais toute petite, à rêvasser dans les champs en espérant tomber dans le terrier du lapin. L'autre jour chez mes parents, j'ai marché dans un champ avec des herbes grandes comme mes jambes. J'ai regardé le soleil se lever et se coucher. Et puis je suis revenue à la ville me remettre à mes travaux. Et par hasard ce soir, sans même y penser, j'ai retrouvé le lapin blanc. Je l'ai suivi. Je regardais une série, et puis j'ai pensé à mon cahier à rêves. Je l'ai pris, j'ai relu quelques rêves de 2003, et puis j'ai tourné une page et écrit quelques lignes. Et... Voilà. Juste comme ça, je suis redevenue moi-même.

dimanche 1 mai 2011

Morceaux choisis (III)

Même devinette :) (première moitié du dix-neuvième, romantique, mais ça, ça se voit je crois :)

Le Christ aux Oliviers (référence à la transfiguration : Luc 9.28-36 La transfiguration de Jésus
9.28 ¶ Environ huit jours après qu'il eut dit ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il monta sur la montagne pour prier.
29 Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et son vêtement devint d'une éclatante blancheur.
30 Et voici, deux hommes s'entretenaient avec lui: c'étaient Moïse et Elie,
31 qui, apparaissant dans la gloire, parlaient de son départ qu'il allait accomplir à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient appesantis par le sommeil; mais, s'étant tenus éveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui étaient avec lui.
33 Au moment où ces hommes se séparaient de Jésus, Pierre lui dit: Maître, il est bon que nous soyons ici; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Elie. Il ne savait ce qu'il disait.
34 Comme il parlait ainsi, une nuée vint les couvrir; et les disciples furent saisis de frayeur en les voyant entrer dans la nuée.
35 Et de la nuée sortit une voix, qui dit: Celui-ci est mon Fils élu: écoutez-le!
36 Quand la voix se fit entendre, Jésus se trouva seul. Les disciples gardèrent le silence, et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu'ils avaient vu.)

Dieu est mort ! le ciel est vide...
Pleurez ! enfants, vous n’avez plus de père !

Jean-Paul

I

Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras
Sous les arbres sacrés, comme font les poètes,
Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes,
Et se jugea trahi par des amis ingrats ;

Il se tourna vers ceux qui l’attendaient en bas
Rêvant d’être des rois, des sages, des prophètes...
Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes,
Et se prit à crier : « Non, Dieu n’existe pas ! »

Ils dormaient. « Mes amis, savez-vous la nouvelle ?
J’ai touché de mon front à la voûte éternelle ;
Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours !

« Frères, je vous trompais : Abîme ! abîme ! abîme !
Le dieu manque à l’autel où je suis la victime...
Dieu n’est pas ! Dieu n’est plus ! » Mais ils dormaient toujours !...


II

Il reprit : « Tout est mort ! J’ai parcouru les mondes ;
Et j’ai perdu mon vol dans leurs chemins lactés,
Aussi loin que la vie en ses veines fécondes,
Répand des sables d’or et des flots argentés :

« Partout le sol désert côtoyé par les ondes,
Des tourbillons confus d’océans agités...
Un souffle vague émeut les sphères vagabondes,
Mais nul esprit n’existe en ces immensités.

« En cherchant l’œil de Dieu, je n’ai vu qu’un orbite
Vaste, noir et sans fond, d’où la nuit qui l’habite
Rayonne sur le monde et s’épaissit toujours ;

« Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre,
Seuil de l’ancien chaos dont le néant est l’ombre,
Spirale engloutissant les Mondes et les Jours !


III

« Immobile Destin, muette sentinelle,
Froide Nécessité !... Hasard qui, t’avançant
Parmi les mondes morts sous la neige éternelle,
Refroidis, par degrés, l’univers pâlissant,

« Sais-tu ce que tu fais, puissance originelle,
De tes soleils éteints, l’un l’autre se froissant...
Es-tu sûr de transmettre une haleine immortelle,
Entre un monde qui meurt et l’autre renaissant ?...

« Ô mon père ! est-ce toi que je sens en moi-même ?
As-tu pouvoir de vivre et de vaincre la mort ?
Aurais-tu succombé sous un dernier effort

« De cet ange des nuits que frappa l’anathème ?...
Car je me sens tout seul à pleurer et souffrir,
Hélas ! et, si je meurs, c’est que tout va mourir ! »


IV

Nul n’entendait gémir l’éternelle victime,
Livrant au monde en vain tout son cœur épanché ;
Mais prêt à défaillir et sans force penché,
Il appela le seul — éveillé dans Solyme :

« Judas ! lui cria-t-il, tu sais ce qu’on m’estime,
Hâte-toi de me vendre, et finis ce marché :
Je suis souffrant, ami ! sur la terre couché...
Viens ! ô toi qui, du moins, as la force du crime ! »

Mais Judas s’en allait, mécontent et pensif,
Se trouvant mal payé, plein d’un remords si vif
Qu’il lisait ses noirceurs sur tous les murs écrites...

Enfin Pilate seul, qui veillait pour César,
Sentant quelque pitié, se tourna par hasard :
« Allez chercher ce fou ! » dit-il aux satellites.


V

C’était bien lui, ce fou, cet insensé sublime...
Cet Icare oublié qui remontait les cieux,
Ce Phaéton perdu sous la foudre des dieux,
Ce bel Atys meurtri que Cybèle ranime !

L’augure interrogeait le flanc de la victime,
La terre s’enivrait de ce sang précieux...
L’univers étourdi penchait sur ses essieux,
Et l’Olympe un instant chancela vers l’abîme.

« Réponds ! criait César à Jupiter Ammon,
Quel est ce nouveau dieu qu’on impose à la terre ?
Et si ce n’est un dieu, c’est au moins un démon... »

Mais l’oracle invoqué pour jamais dut se taire ;
Un seul pouvait au monde expliquer ce mystère :
— Celui qui donna l’âme aux enfants du limon.

Morceaux choisis (II)

Devinette : qui donc a écrit ce texte ?

Nuit de l'enfer


J'ai avalé une fameuse gorgée de poison. — Trois fois béni soit le conseil qui m'est arrivé ! — Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier. C'est l'enfer, l'éternelle peine ! Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon !
J'avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l'air de l'enfer ne souffre pas les hymnes ! C'était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je ?
Les nobles ambitions !
Et c'est encore la vie ! — Si la damnation est éternelle ! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n'est-ce pas ? Je me crois en enfer, donc j'y suis. C'est l'exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! l'enfer ne peut attaquer les païens. — C'est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.
Tais-toi, mais tais-toi !... C'est la honte, le reproche, ici : Satan qui dit que le feu est ignoble, que ma colère est affreusement sotte. — Assez !... Des erreurs qu'on me souffle, magies, parfums faux, musiques puériles. — Et dire que je tiens la vérité, que je vois la justice : j'ai un jugement sain et arrêté, je suis prêt pour la perfection... Orgueil. — La peau de ma tête se dessèche. Pitié ! Seigneur, j'ai peur. J'ai soif, si soif !
Ah ! l'enfance, l'herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze... le diable est au clocher, à cette heure. Marie ! Sainte Vierge !... — Horreur de ma bêtise.
Là-bas, ne sont-ce pas des âmes honnêtes, qui me veulent du bien... Venez... J'ai un oreiller sur la bouche, elles ne m'entendent pas, ce sont des fantômes. Puis, jamais personne ne pense à autrui. Qu'on n'approche pas. Je sens le roussi, c'est certain.
Les hallucinations sont innombrables. C'est bien ce que j'ai toujours eu : plus de foi en l'histoire, l'oubli des principes. Je m'en tairai : poètes et visionnaires seraient jaloux. Je suis mille fois le plus riche, soyons avare comme la mer.
Ah çà ! l'horloge de la vie s'est arrêtée tout à l'heure. Je ne suis plus au monde. — La théologie est sérieuse, l'enfer est certainement en bas — et le ciel en haut. — Extase, cauchemar, sommeil dans un nid de flammes.
Que de malices, dans l'attention dans la campagne... Satan, Ferdinand, court avec les graines sauvages... Jésus marche sur les ronces purpurines, sans les courber... Jésus marchait sur les eaux irritées. La lanterne nous le montra debout, blanc et des tresses brunes, au flanc d'une vague d'émeraude...
Je vais dévoiler tous les mystères : mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories.
Écoutez !...
J'ai tous les talents ! — Il n'y a personne ici et il y a quelqu'un : je ne voudrais pas répandre mon trésor. — Veut-on des chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l'anneau ? Veut-on ? Je ferai de l'or, des remèdes.
Fiez-vous donc à moi, la foi soulage, guide, guérit. Tous, venez, — même les petits enfants, — que je vous console, qu'on répande pour vous son cœur, — le cœur merveilleux ! — Pauvres hommes, travailleurs ! Je ne demande pas de prières ; avec votre confiance seulement, je serai heureux.
— Et pensons à moi. Ceci me fait un peu regretter le monde. J'ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c'est regrettable.
Bah ! faisons toutes les grimaces imaginables.
Décidément, nous sommes hors du monde. Plus aucun son. Mon tact a disparu. Ah ! mon château, ma Saxe, mon bois de saules. Les soirs, les matins, les nuits, les jours... Suis-je las !
Je devrais avoir mon enfer pour la colère, mon enfer pour l'orgueil, — et l'enfer de la caresse ; un concert d'enfers.
Je meurs de lassitude. C'est le tombeau, je m'en vais aux vers, horreur de l'horreur ! Satan, farceur, tu veux me dissoudre, avec tes charmes. Je réclame. Je réclame ! un coup de fourche, une goutte de feu.
Ah ! remonter à la vie ! Jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit ! Ma faiblesse, la cruauté du monde ! Mon Dieu, pitié, cachez-moi, je me tiens trop mal ! — Je suis caché et je ne le suis pas.
C'est le feu qui se relève avec son damné.




Je me demande si ce texte vous aura secoué et fasciné comme moi... Je retrouve des racines littéraires dont je n'avais pas encore conscience :)

samedi 9 avril 2011

Another one bites the dust..

Ça ressurgit à n'importe quel moment. Un objet, une pensée, une association d'idée, et tout est prétexte à ranimer la douleur, un poignard, qui plonge directement entre les côtes. Chaque fois, stupéfiée, je relève la tête avec des larmes plein les yeux. Chaque fois, je me souviens de ce qu'est désormais la réalité, et la douleur, si réelle, crève les bulles, les membranes et les murs qui se closent sur mes fantaisies. Je suis plantée là par ma propre douleur, que j'appréhende comme un animal nouveau et étrange, qui habite ma chair, qui semble curieusement incarné comme un double, comme un embryon dans un nouvel utérus. Elle existe, presque indépendante. Non pas tout à fait douée de volonté, mais stimulée par ma vie psychique, interminable et chaotique. Cela m'effraie d'en parler avec tant de distance, analysant froidement cette nouvelle réalité implantée dans mon corps. Désormais je vis avec cette forme de vie étrangère, liée à moi comme un symbiote mais qui ne semble pas tout à fait m'appartenir. Plus tard, probablement, je saurai la faire mienne, l'intégrer, la digérer, en faire une partie de moi. La mélanger à mes ténèbres, à mes lueurs. Pour l'heure elle vit seule, absurde et cruelle.
Pour mes amis qui ne savaient pas : j'utilise ce blog pour exprimer mes sentiments comme ils me viennent. C'est aussi une thérapie. Alors l'événement qui provoque ces drôles de phrases, c'est que ma relation amoureuse vieille de cinq ans vient de finir. C'est pourquoi c'est encore quelque chose d'étranger, qui ne m'appartient pas, quelque chose que je n'ai pas encore assimilé. Le temps viendra.
En attendant, je ne suis pas en danger, ne vous inquiétez pas. J'ai découvert aujourd'hui que je ne suis pas inapte au travail et que cela m'aide. C'est une sacrée bonne nouvelle car j'ai encore beaucoup de boulot avant de terminer l'année scolaire.

samedi 26 mars 2011

Que ma joie demeure

Il faudrait pouvoir créer en permanence. Le vaudrait-il ? Pas si je suis sur cette frontière, ce bord qui canalise et boit toutes mes énergies. Ce serait impossible. Cela me consumerait. Un peu comme si on avait un orgasme qui durait toute une journée. On en mourrait sans doute. Je retrouve le paradoxe de Giono : la joie est si désirable, et pourtant, elle ne peut demeurer. C'est sans doute l'une de ses propriétés essentielles. Elle est éphémère. Rien ni personne ne peut changer cela. Et cela n'empêche pas de le désirer. Peut-être que cette aspiration est très forte chez moi, peut-être qu'elle m'empêche de supporter le vide des nuits blanches. Je veux toujours de la joie, de l'extase, de la folie, des hallucinations. Je veux toujours déborder. C'est comme une nécessité vitale qui porte pourtant le germe de sa destruction. Peut-être devrais-je apprendre le calme et le détachement. Peut-être devrais-je apprendre à vivre sans la frénésie. Mais je la provoque, je la cherche, je l'entretiens, je ne la quitte qu'en pleurant. Parce qu'elle me semble si précieuse. Et cela, au moins, j'en suis sûre, n'est pas une erreur. L'erreur est peut-être de trop la traquer, de l'acculer, de se sentir vide sans elle. J'ai l'impression de perdre chaque instant où elle pourrait être là, mais n'y est pas. Il y a beaucoup de texte que j'écris ivre. Je n'ai pas à strictement parler besoin de cet état. Disons qu'il est un déclencheur comme l'est une oeuvre d'art ou un paysage naturel. J'ai besoin d'être nourrie et provoquée, je suis affreusement demandeuse. Je suis une espèce de monstre qui règne dans sa part d'ombre protégée, à réclamer plus d'extase pour enfanter plus de monstres. Ça me semble inaliénable. Même si je trouve plus de sérénité, je ne crois pas que ce terrible appétit disparaîtra. C'est aussi sans doute lié à ce à quoi je m'occupe toute la journée. Toute la journée, j'apprends, j'absorbe. J'assimile des concepts, je m'approprie des définitions, je reçois des trombes de savoir, et tout cela ne cesse de stimuler ce qu'il y a d'irrationnel et de mystique en moi. Cela ne fait que raviver perpétuellement mon goût de l'infini. Et quand le soir arrive et que mon travail est terminé, il faut lâcher la bête. Cette chose féroce qui n'a qu'une seule finalité : créer. Car la création est pour moi beaucoup plus qu'une catharsis. Je ne fais pas qu'évacuer, sublimer, soulager. Je crée parce que je le dois, autant que de respirer. Je n'ai pas mis au hasard ces mots en exergue de mon blog. "Rentrez en vous-même. Cherchez la raison qui, au fond, vous commande d'écrire ; examinez si elle déploie ses racines jusqu'au lieu le plus profond de votre coeur; reconnaissez-le face à vous-même : vous faudrait-il mourir s'il vous était interdit d'écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit : dois-je écrire ? Creusez en vous-même vers une réponse profonde. Et si cette réponse devait être affirmative, s'il vous est permis d'aller à la rencontre de cette question sérieuse avec un fort et simple "je dois", alors construisez votre vie selon cette nécessité; votre vie, jusqu'à son heure la plus indifférente, la plus infime, doit se faire signe et témoignage de cette poussée." Ma vie est le signe et témoignage de cette poussée. Ça me rend folle. Mais ce sens absolu du devoir est ma plus grande chance. Je me demande toujours comment on vit sans. Mais comme un animal en cage se demande comment on vit libre, comme un animal sauvage se demande comment on peut vivre en captivité. Je n'ai rien choisi et cette impulsion ne m'appartient pas. J'aime m'imaginer qu'elle provient d'une chose plus importante que moi, que vous, que nous. Ce n'est qu'une vue de l'esprit. Je ne crois pas à « l'illusion ». Je ne crois pas à la « réalité ». Je ne crois qu'en cette impulsion. Je suis aveugle dans cette aberrante lucidité. Je suis heureuse. Je suis complète. Je suis une entité qui se déploie. Je suis plus mère que toutes les mères. Je sais ma chance. Je la chéris. Je la soigne. Je ne laisse rien ni personne s'interposer entre moi et elle. Je suis égoïste. Mais je sens plus profondément que moi-même que c'est ma vie. J'espère que je m'en souviendrai à l'heure de ma mort, histoire de ne rien regretter. Je suis beaucoup plus lumineuse que la plupart des gens, et ceci probablement parce que mes ténèbres sont plus noires que les leurs. Je suis narcissique. Je suis sans doute bornée. J'ai la foi. Et c'est parce que tout cela est tellement fragile que j'y crois.
Je ne crois à aucun discours, aucun système, aucune idéologie. Je ne porte crédit qu'aux discours de la science et à ceux des mystiques.

lundi 7 février 2011

Hells bells - fragments/premier jet



La cloche, lourde et funèbre, appelle dans le lointain. Chaque fois que j'entends sa mélopée, une seule note vaste et et grave comme un regard qui aurait contemplé la mort, quelque chose grimpe dans mon estomac et s'y roule en boule, me donnant l'impression que la gravité exerce une force plus intense que d'habitude. Elle appelle. Hypnotique, elle sonne, assemblant dans cette unique note qui ne cesse de s'amplifier la crainte, l'inéluctable. On ne peut que baisser les yeux en écoutant un tel son.
Et puis la musique surgit de l'obscurité. Comme invoquée par cette note solitaire, elle éclot doucement. J'en ai la chair de poule, à la sentir ainsi déferler aussi doucement, lentement, qu'une pluie d'été. Elle me glace de la même façon, soulevant des vapeurs en s'insinuant dans la chaleur environnante. Et travers l'écran aquatique je vois des routes se dérouler sans jamais finir, des routes que nous avons tous arpentées, des routes aussi usées que mes vieilles chaussures, vainement tracées dans le désert de nos espérances.
C'est pourquoi j'écoute toujours ce morceau en démarrant.
One more time, hitting the road...




La vie est un rêve dont on se réveille pour de brefs moments de lucidité. Maintenant est l'un de ces moments. Au volant de ma vieille Chevrolet, traversant le Colorado à tombeaux ouverts. J'aime bien cette image : après tout, qu'y a-t-il au bout d'une route, sinon un tombeau ouvert ?
Sur la route j'enchaîne les vieux morceaux, rutilants, énergiques comme s'ils étaient joués juste pour moi, maintenant, dans l'habitacle enfumé de mon véhicule. J'écoute toujours les versions live. J'ai l'impression de traverser un livre d'histoire un peu particulier. Des vies traversent ces morceaux, des souvenirs, et quand les voix s'entremêlent et reprennent ensemble les paroles, je crois écouter une ancienne messe païenne où, à travers nos différences, nos haines et nos mépris, nous aurions trouvé une voix commune pour chanter notre douleur, la chienne de douleur qui mord les tripes, et une voix commune pour chanter le désir désespéré et désespérant de vivre. Et une voix pour chanter la peur primitive que l'âge adulte n'a jamais tout à fait effacé. Une voix pour dire que nous avons toujours peur du noir...



Et puis, le live a cette qualité inimitable, dans l'improvisation, l'absence de corrections, le son brut qui sort sans lissage, sans modifications. Il y a cette humanité, cette chaleur, cette pureté qu'on ne retrouve jamais sur les enregistrements. La chanson commence à devenir vivante, tangible, surtout quand tant de gens l'écoutent ensemble. Elle prend forme et corps, et elle prend le pouvoir de posséder tous ceux qui la font exister, musiciens comme auditeurs. Une alchimie se produit, une réaction imprévue qui tout à coup vous enlève de vous-mêmes et vous projette de plein fouet dans la texture de la musique, où se cristallisent les paroles trop longtemps échouées dans notre silence.
Le morceau suivant enchaîne, alors qu'au dehors le paysage ne change pas, magnifiquement désertique, étendu sous mes yeux avec ces drôles d'amas rocheux exhibant leurs formes déformées, comme des vieillards portant fièrement leurs corps érodé par le temps. Je me sens moi-même érodée, usée, secouée et jetée, à peine rescapée, à peine survivante. Que me reste-t-il ? Des grains de poussières et des miettes de tabac, et la trace aride d'une larme sur ma joue.
La route se fait hypnotique, les bandes jaunes se répètent inlassablement en ressurgissant rythmiquement. Alien Sex Fiend jette un voile nauséeux tout autour de moi, assombrissant le monde et m'immergeant dans un drôle de rêve mécanique. Le moteur ronfle alors que je passe les vitesses, filant sur le trait rectiligne qui relie l'éternité d'un bout à l'autre.

Premier souvenir. Ce bar dans le Minnesota, qui passait de vieux tubes de hard rock dans une atmosphère embrouillée, saturée de paroles inaudibles, de vapeurs d'alcool et de fumée de cigarettes. J'avais chaud, j'étais bien, je buvais une bière brune qui me remplissait l'estomac mieux que n'importe quel repas concocté à base de boeuf ou de poulet industriels. C'est ce soir-là que j'ai entendu la cloche pour la première fois. En pleine discussion avec un ami du coin, nous nous demandions pourquoi nous étions né nous-mêmes, pourquoi occupions-nous ce corps et cette conscience en particulier. Quelque chose du goût « pourquoi plutôt quelque chose plutôt que rien » préoccupait notre débat rendu quelque peu vaseux par la pesanteur euphorisante de la brune. Et puis le son a traversé l'écran sonore, et s'est dévoilé dans un parfait silence, comme si quelqu'un avait coupé le son. Je suis restée hébétée quelques secondes, et puis j'ai cru à une hallucination, et j'ai repris le cours normal de ma conversation. Mais le son était imprimé en moi, et il continuait de résonner à l'intérieur de mon crâne, me répétant inlassablement un message que je ne parvenais pas à décrypter.

Deuxième souvenir. Je suis quelque part dans l'Oregon, assise sur le capot de ma voiture. Les étoiles scintillent au-dessus de ma tête, incisives, acérées, des étoiles comme je n'en ai jamais vu de ma vie. Il faut être au coeur des montagnes, dans une région dénuée de tout éclairage électrique, pour les voir comme je les ai vues, clignotant comme des yeux rêveurs, éparpillées par centaines dans le noir total. Et soudain, dans la pureté de la nuit, la cloche a sonné. Cette fois-ci, ça m'a glacé les veines. J'étais là, tenant une cannette de bière dans ma main gauche, et une cigarette roulée dans la droite, la tête levée vers le panorama nocturne, quand le son m'a frappée comme l'onde d'une explosion.

Sur ma voiture, en vieille fan radoteuse, j'ai vissé une plaque où il est écrit en majuscules : Highway to hell. Je me suis toujours sentie appelée vers quelque chose. J'en suis venue à penser que ce quelque chose était une sorte d'enfer. Pas celui avec les démons armés de piques pour pousser les misérables humains dans le feu de la pénitence, non. Un enfer qui n'est ni froid, ni chaud. Un lieu perdu tout au fond de nous-mêmes, où ne se consument que nos souvenirs, des parties de nous dévorées par l'oubli et le néant. Un enfer où ma vie s'écrit elle aussi en majuscules. Un enfer peuplé de fantômes de moi-même, d'images jaunies de mes proches, d'ambitions avortées, de regrets mal assumés. Un enfer fait de tout ce que nous aurions pu être.



Troisième souvenir. En entrant dans le désert du Colorado, la cloche m'a à nouveau frappée. Ce son insistant, clair comme l'aurore, vibrait dans mes intestins comme une basse électrique. Ses pulsations lentes et lourdes creusaient à l'intérieur de moi, me fouillant la tête et les tripes. Elle était là pour m'annoncer quelque chose, ou bien pour me remémorer quelque chose, c'est difficile de savoir, et est-ce qu'au final, ça ne revient pas au même ?
La cloche sonnait, sonnait. La cloche m'appelait. Sans brutalité, sans hâte. Lente et sourde comme la voix de Dieu.
Ce soir-là, je suis rentrée dans ma voiture un peu trop vite, j'ai démarré en faisant déraper les pneus, et je me suis alignée sur le bitume et son tracé parfait, sans détours, sas bifurcations. J'étais appelée, sonnée, hallucinée. Le temps ne m'appartenait plus, pas plus que la route où ma voiture, machine indépendante de mon corps qui se ruait vers la prochaine destination, plus près de l'appel.



Au bord de l'abîme, ce moment arrive parfois. C'est la dernière fois que la cloche a sonné. J'étais quelque part en Arizona, quand soudain le ciel s'est ouvert en deux. Je pouvais y voir le néant pur danser sous ms yeux. Je n'avais pas froid, j'avais même plutôt chaud, bien nourrie de bière qui me voilait légèrement l'esprit. Le ciel se mouvait comme s'il était composé de voiles qui tombaient successivement. The insight and the catharsis... Les deux étaient là. La lucidité qu'on a en se réveillant d'un drôle de rêve, et le plaisir presque abject de l'évacuer comme un orgasme soulage le corps tendu.



Puis la descente. La sublimité m'écrasait. Je titubais sous les étoiles, ivre dans tous les sens du terme. Quelque chose me sortait de la gorge. Je n'ai réalisé qu'un moment plus tard qu'il s'agissait d'un cri, rauque et douloureux comme le cri d'un nouveau né, le genre de cri qui fait crisser les cordes vocales. Etais-je en perdition, ou bien était-ce le monde qui mourait devant moi ? Je tanguais au beau milieu du désert, assistée par l'assemblée désapprobatrice des cactus dressés comme des symboles d'une idée oubliée depuis bien longtemps. Je suis moi, mais mon identité ne signifie rien dans la vie anonyme de l'univers qui s'étend, s'éteint, se dévore, s'allume, puis s'oublie. Quelle étrangeté ! Je suis née pour m'apercevoir de mon insignifiance à laquelle je m'accroche pourtant. Et après ? Pourquoi être déchiré en deux ? Et surtout, pourquoi le désirer ?


Peut-être viendra-t-il un moment où je comprendrai ce que j'ai fait et pourquoi je l'ai fait. Peut-être aurai-je alors des regrets. Mais dans ce moment de lucidité, éveillée dans ma Chevrolet qui file sur la route comme si elle ne devait jamais s'arrêter, je suis incapable de voir autrement. De changer de perspective. Je suis abandonnée à la nuit, qui m'enlève et me détériore à son gré, transportée par des vents qui ne viennent pas du ciel. Je suis bel et bien sur une autoroute pour l'enfer. J'y file droit, sans scrupules. J'y file droit sans même comprendre pourquoi j'y vais. Je ne peux comprendre pourquoi je suis si perdue, pourquoi la cloche ne cesse de résonner dans ma tête, pourquoi je suis son appel sans jamais douter. Je suis sur la route. Et je ne planifie jamais mes voyages.

Le compte à rebours bat dans mes tempes, scandant un rythme affolant, effrayant. J'y suis. J'avance. J'ai peur. Je suis jeune et comme la plupart des jeunes, je ne pense guère à affronter ma propre mort. Du moins, pas comme j'y penserai dans vingt ans, quand j'en serai beaucoup plus proche, quand les années ne se compteront plus en dizaines. Alors non, je n'y pense pas comme si c'était demain. Mais j'y pense chaque jour, chaque fois que j'ouvre une cannette de bière, chaque fois que j'allume une cigarette. Mais je n'y arrive pas. Je n'arrive pas à arrêter. A voir la fin de la route. A comprendre. Et y arriverai-je mieux quand les chiens de l'enfer me mordront les mollets ? Quand je n'aurai plus d'autre choix que de passer cet horrible moment ? Je ne sais pas. Que voulez-vous, je ne sais pas. Je vis, irresponsable, cruelle, dans la lune, sans parvenir à me dire « il faut ». Je deviens, sans laisser de traces. Je suis ma trajectoire d'étoile filante.