samedi 3 octobre 2020

Madame Angoisse

 

Je repense à la peur. À la nécessité de savoir vivre avec. On est tous, tout le temps, amenés à chercher à se rassurer. Mais parfois il ne faut pas. Il faut juste affronter sa peur. Le conseil que j’ai le plus détesté au lycée. Mais il y a un moment pour le faire. Pas parce qu’un adulte bien intentionné vous le dit. Parce que vous en éprouvez la nécessité profonde, intérieure. La seule nécessité qui vaille. Celle qui vous inspire, vous insuffle ce courage de faire face.

Il y a tellement de choses que je ne comprends pas dans ce monde. Ne pas comprendre les autres me terrifie. Ne pas me comprendre moi-même me coupe de ma propre existence. Et pour comprendre... Il faut que je me batte. Je ne peux pas céder du terrain à la peur. Je dois revenir sur le ring. Celui que je déserte pour plus de confort. Pour consacrer mon énergie à d’autres choses. Mais je dois revenir sur le ring. Ce n’est pas impératif moral, ce n’est pas ma culpabilité qui m’y conduit. C’est mon élan, ma force vitale. Ce que j’appelle la nécessité intérieure.

Peut-être que j’ai besoin de boxer, en fait. Peut-être que je suis incapable de concevoir mon existence sans la peur comme ennemie. C’est vrai, probablement aussi, que je n’ai jamais cherché à m’en faire une alliée. La peur, c’est ce truc qui me noue les les tripes et qui nourrit beaucoup de voix dans ma tête. Mais je ne peux pas l’affronter si je ne choisis pas mon moment. C’est toujours elle et moi, sur le ring, dans un clair obscur à la Je t’aime mélancolie de Mylène Farmer. Et je boxe, je boxe, toute seule le samedi soir. Parce que ma peur, c’est ce qui se met entre moi et ces histoires qui me brûlent le bout des doigts. C’est un éclat de glace fiché dans mon estomac qui me paralyse quand je songe à prendre une décision. C’est ce qui me fait penser la chose la plus horrible du monde : « c’est pas si grave. c’est pas si important ». C’est toujours important, à plus forte raison si la peur s’en mêle.

 


 

mercredi 12 août 2020

I'll keep coming

 

12 août 2020, 19h08. Low Roar, 0.


Je suis en vacances. En vraies vacances, coupée de ma boîte e-mail pro, et pendant trois semaines. Ça ne m’est plus arrivé depuis ma vie étudiante. J’ai presque l’impression de devoir réapprivoiser cette forme particulière d’inactivité. Réapprivoiser mon environnement. Après le premier week-end passé à végéter en jouant à mon jeu vidéo du moment, j’ai passé la journée du lundi à faire du rangement et du ménage. À me réapproprier l’espace. Mon espace. Parce que l’une des constantes dans ma vie c’est de ne me sentir appartenir à rien et à nulle part. D’être constamment de passage, d’avoir un sentiment proche de l’illégitimité, comme si j’empruntais tout, y compris ma vie. Parfois cette impression s’efface, et ça arrive dehors quand je suis bien dans ma peau, chez moi quand je prends le temps de me poser dans l’instant présent et me concentre sur l’immédiat et l’existant. Mon appartement est mon antre, ma citadelle, ma bulle. J’aime y rester pendant des périodes prolongées, j’aime y être seule, parce que c’est ainsi que se forment mes rêves, ainsi que je deviens créative, autrement dit, je le crois toujours, capable de donner le meilleur de moi-même. Ne pas pouvoir faire toutes ces choses, c’est comme une forme de violence, lente et latente, et ça finit toujours par me faire craquer, physiquement, psychologiquement. Savoir s’écouter c’est un art, car faire la différence avec la complaisance n’est pas si facile.

J’écrivais tout à l’heure, ailleurs, qu’on ne cesse jamais, ou du moins qu’on ne peut pas avant très longtemps, de surmonter un traumatisme. Parce que même si les émotions engendrées par l’événement ou la suite d’événement sont apaisées, on doit ensuite affronter les conséquences en nous-même. Un traumatisme est comme un arbre enraciné profondément dans le cœur et la psyché. Il peut changer la façon de vivre, la façon de voir, la façon de pensée. Il peut bouleverser la gestion des émotions, rendre instable, impuissant. J’ai toujours été d’accord avec le fait qu’il fallait apprendre à accepter ses failles. Mais ce n’est même pas de les accepter, le plus dur. C’est simplement d’arriver à vivre avec. Je suis une grande habituée de l’instabilité émotionnelle, en soi elle ne me gêne pas, pas vraiment... C’est le dégoût, la haine de soi, la culpabilité, l’anxiété et la colère engendrées par tout ça qui sont des problèmes. Et je me réveille en vacances et je sens que j’étais très fatiguée par tout ça. Que j’ai réalisé que les racines de l’arbre traumatique pompait mon énergie vitale. Que je devais, en somme, me recentrer. Respirer. Sinon, réappropriation d’espace ou pas, je ne parviendrai pas à écrire. Je ne parviendrai pas à avancer. Alors parfois il faut arrêter d’essayer d’avancer. Laisser les rêves éclore. Les regarder se déployer comme la fumée. Ne pas chercher à devancer sa propre vie.

mardi 3 mars 2020

La playlist façon Quotidien, à la sauce Maloriel, en trichant un peu.

Non, je n'ai pas écrit depuis juillet ici. Oui, le premier article que je poste après si longtemps, c'est une playlist. Et alors, qu'est-ce que vous allez faire ?! C'est mon blog, nah !
Bon, passés ces enfantillages... (en plus y a probablement que deux personnes qui me lisent :D faute de vous apprendre beaucoup de choses, ça vous remettra peut-être en tête des trucs cools ;)

La plus belle chanson de tous les temps

Celle-ci, parce que quelle que soit mon humeur, quelle que soit la période de ma vie, j'y reviens toujours, et elle trouve toujours de nouveaux moyens de m'émouvoir ou même de me bouleverser.



Autrement, il y a celle-ci, parce que c'est le plus beau poème d'amour qu'on ait jamais écrit, et la voix chaude Jean Ferrat sait lui rendre hommage.

J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu'il fait jour à midi qu'un ciel peut être bleu  


J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson. 



La chanson que vous écoutez en boucle en ce moment

Hm... Y en a plein........ Nan, mais, vraiment plein... Bon j'en pioche deux, du coup :

J'aurais jamais pensé que ça rende si bien en acoustique.



Et puis ça, c'est la chanson du matin. Ça m'éclaircit l'esprit. Sans doute parce que ça m'évoque le genre de paysages qu'on voit dans la vidéo. Cherchez pas :)



La chanson que vous écoutez pour une nuit d'amour

Mon homme comprendra... Les autres je pense vont nous prendre pour des psychopathes, mais c'est pas très grave. (mais ce passage de 2:50 à 4:37 c'est comme une métaphore musicale du plaisir menant à l'orgasme, quoi :D)



Dans le même esprit y a ce titre...


Sinon dans un autre registre... (comment ça, j'ai un rapport au sexe un brin mystique ?! Mais ces percus... c'est conçu pour, non ?! Pour l'amour... ou pour la guerre... les deux à mon avis :)



La chanson que vous écoutez en secret

Ahah, c'est probablement la catégorie où y en a le plus... Petite sélection !

Ces gars sont des grands gamins et je les adore pour ça. Tout est mythique dans ce clip.



Y a tout plein de génériques d'anime un peu neu-neu que j'adore. Celui-là en fait partie. Il me rend bêtement heureuse (Bleach)



Tiens en parlant de trucs japonais... Y en a qui ont absolument tout compris aux plaisirs coupables. Des barres de rire, et que du plaisir. Meilleure chorégraphe EVER !


Et l'éternel indémodable que j'ai toujours envie de chanter à tue-tête.


Et puis celle-là aussi, mais c'est presque pas coupable puisqu'en vrai tout le monde l'adore.


vendredi 5 juillet 2019

Playlist de l'été

Depuis que je suis adolescente, l’été a toujours été une saison étrange.
Mon premier été étrange date de mes quatorze ans. Le déménagement en Bretagne, la nouvelle chambre, la nouvelle maison. J’ai accroché des voilages mauves pâles qui capturaient le soleil, je me maquillais à genoux dans la salle de bain parce que l’armoire à pharmacie n’avait pas été encore fixée au mur, je me promenais désœuvrée dans le très grand jardin silencieux.
C’est le premier été sans vacances, le premier été lourd de lumière, agité de rêves comme si je dormais le jour, le premier été accablant.
L’été est un désert. L’été est léthargie, soupirs, frissons parfois. Sentimentalement l’été est porteur d’émotions profondes et intenses. C’est en été que j’ai dit au revoir à des gens qui me sont chers, c’est en été que je suis tombée amoureuse. Je ne sais plus où je suis, en été. L’asphalte se gonfle pendant le jour, il reste chaud toute la nuit, les soirées sentent l’aventure, les matins sont tapageurs, les après-midi sont interminables.
La mélancolie de l’été est presque lascive, elle palpite en sourdine, elle s’étend et s’étend comme une grasse matinée qui m’en finit pas.
Je ne sais pas trop pourquoi je me sens souvent triste en été. Le cœur de l’hiver et le cœur de l’été ne sont, disons, pas mes moments favoris de l’année. Je respire mieux en automne.
Et pourtant, l’été reste toujours plein de promesses. L’été je suis une funambule, plus que jamais, entre des émotions contradictoires, l’été je suis fragile, l’été je ne sers plus à rien.
Mais j’avais quand même envie de vous partager ma playlist de l’été, qui reflète un peu tous ces moments et toutes ces émotions à la fois.
La musique du road trip par excellence, celle qui m’emmène à tous les horizons, celle dans laquelle je me perds, et me reperds, et me reperds encore. Elle me parle de fuite en avant mais aussi des saisons qui reviennent, des souvenirs qui se heurtent au présent, elle me parle de sens de la continuité, comme les marquages sur le bitume qui défilent sous les roues, et de l'horizon qui se trouble dans le rétro.


 Pour les après-midi sereins, il y a Simple Minds :


L'été c'est aussi parfois le retour en enfance, la joie sans arrière-pensée. Et hop ! Déferlement de shonens !


Et l'été... C'est aussi l'envie de danser. (ah! vous aviez cru que vous alliez déprimer tout le long du billet, hein, avouez !) Et cet été, ma chanson phare, c'est celle-ci.
Mais on peut aussi se déhancher là-dessus :
Et une chanson indémodable avec sa meilleure version selon moi :) C'est drôle, sexy, ça respire la joie de vivre, Martha Wash a une putain de voix, RuPaul un corps incroyable :)

Et je finis sur un truc totaaalement différent. Mais je ne sais pas pourquoi, j'ai toujours trouvé cette musique torride. Dans tous les sens du terme.
Bon été à vous :)

vendredi 3 mai 2019

Maman, ta fille a trente-deux ans


My Fall



Est-ce que les weekends sont vraiment fait pour dormir… Ou pour rattraper le temps perdu avec soi-même ? Dormir, c’est ce que j’avais planifié. Mais je me suis mise à penser, beaucoup, et cet endroit est le seul que j’ai trouvé pour formuler ce qui me passait à travers la tête.
J’ai grandi dans la chambre bleue. La chambre au nord. La chambre de cet enfant fantasmé qui ne serait pas moi. Il ne serait pas elle. Il s’appellerait Olivier. Et bien sûr la pensée magique est assez forte pour me faire croire que cet enfant-là n’aurait pas rendu maman malade. La pensée magique est assez forte aussi pour préférer penser que mon existence ou ma non-existence, aurait changé quelque chose à ce non sens débile qu’on se pique d’appeler la vie : je ne comprends pas, et oui, je sais, personne ne comprend pourquoi, quelqu’un peut souffrir autant sans la moindre raison. Justement, maman me disait souvent, quand ça n’allait pas, des trucs du genre « on est tous dans la même galère ». Je trouvais ça stupide, parce que ça changeait rien à ce que j’éprouvais. Et les années ont montré que si elle y a cru un jour, à cet adage débile, ça a assez vite cessé d’être le cas.
Au début je croyais que je ne me confiais pas parce je détestais l’impression de vulnérabilité qui allait avec. L’impression de laisser l’autre avoir du pouvoir sur vous en lui laissant voir où sont vos faiblesses. Je crois toujours à ça. Mais c’est aussi parce qu’une part de moi se refuse à établir des liens, parce que l’attachement est source de toutes les souffrances, et tout ça. Par contre, je ne crois toujours pas que fondamentalement, j’ai peur de souffrir. J’ai peur d’être mauvaise. J’ai peur de faire du mal aux autres par ma simple existence, et en bonne personne troublée, j’ai tendance malgré moi à rassembler des indices qui vont dans ce sens exactement à la manière d’une conspirationniste : quand tu veux prouver quelque chose, tu arriveras toujours à le prouver. Il suffit de chercher assez.
Je doute que ce soit aussi simple, mais je commence à me demander si mon sentiment fondamental de culpabilité n’est pas la source principale de mon anxiété chronique. Non, ce n’est pas la bonne façon de le formuler, parce que ça me fait passer pour une victime et ce n’est pas ce que j’ai l’impression d’être, ce n’est pas comme ça que je me perçois. L’autre jour F. m’a dit que j’étais anxieuse parce que j’avais une conscience aigüe de ma mortalité, enfin à peu près, et il n’avait pas tort. Mais j’ai aussi cette conscience vertigineuse du hasard incroyable, à la fois absolument magnifique et complètement maudit qui fait qu’aujourd’hui, je suis coincée dans ce crâne étroit, comme une toute petite prison remplie de monstres aux griffes affûtées, et face auxquels je n’ai jamais été beaucoup plus qu’une petite fille terrifiée, terrorisée à l’idée qu’on l’abandonne. Terrorisée à l’idée de vivre les épreuves que ma mère a endurées. Terrorisée à l’idée de vivre sa vie.
Je suis la petite fille de la chambre bleue, je ne l’ai jamais été autant, je suis toujours là-bas, toujours à me demander pourquoi je suis moi et pas quelqu’un d’autre, toujours à me demander pourquoi les gens souffrent autant, toujours à rechercher stupidement et désespérément un moyen d’éviter toute cette souffrance.
La pensée magique me servait, gamine. Un jour, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps en « sacrifiant » un objet qui m’était cher, parce que maman me l’avait acheté, à mon « tiroir à prières ». Symboliquement, dans ma tête, je le donnais à Dieu. En bonne chrétienne, je pensais que la douleur du geste attirerait l’attention de la divinité.
Et je comprends pourquoi y a des tas de gens qui pensent ça. Parce que c’est toujours préférable au non sens d’une douleur accidentelle. Ne pas pouvoir donner du sens, c’est ça, la véritable malédiction.
J’ai cru que je finirai par savoir, par trouver, par comprendre. Aujourd’hui, hypersensible en début de règles, je porte le pull turquoise de maman sous ma couette, j’écoute Tamtrum et ce titre qui nomme ce billet, et je ne cesse de me poser ces questions. Je me demande quand est-ce que ça a commencé. Je refuse absolument qu’on me voit comme une victime alors la plupart d’entre vous, oui, même vous qui me lisez là maintenant, ignorez que je pique des crises d’angoisse parce qu’un monstre m’a pris ma maman. Je sais qu’on est censé grandir, mais je ne sais pas comment.
M’enfin, même en ne sachant pas comment, comme tout le monde j’imagine, j’ai grandi. Je trouve ça profondément effrayant d’imaginer comme on fait tout à tâtons, en faisant semblant de savoir ce qu’on fait alors qu’on en a aucune foutue idée. Et puis, on avance. Les choses évoluent. La plupart des choses évoluent. A part cette peur fondamentale, cette peur panique d’oiseau encagé.
Mais qu’est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je fous ?

Et puis au-delà des terreurs de l’enfance, y a les terreurs du monde adulte. Il m’est arrivé heureusement plusieurs fois au cours des dernières années de lire ou d’entendre des pensées qui me confirmaient que je n’étais pas seule. Des gens qui ont donné des mots à mes frustrations, mes angoisses, mes révoltes. Des gens qui m’ont rappelé que le monde c’était pas une maison blanche avec un papa une maman une barrière blanche et des gosses qui rigolaient en bouffant des yaourts.
Que le monde n’était pas fondamentalement hostile. C’est nous qui le rendons hostile. Avec notre putain de misère humaine, tellement désespérée qu’on veut à tout prix que quelqu’un en soit responsable, et sérieusement, ça me fait chier, mais je comprends pourquoi.
L’histoire de maman m’a brisé le cœur. C’est pas la société française, bien plus cool quoi qu’en dise les rageux que la plupart des société aux mondes, c’est pas mes proches, c’est même pas maman, c’est ce qui lui est arrivé. Ça m’a simplement brisé le cœur, appris que la justice n’était pas de ce monde, appris qu’il existait des choses contre lesquelles rien ni personne ne pouvait lutter. En fait ça n’explique pas directement les racines de mon anxiété mais plutôt de mon pessimisme.
Et encore à ce jour, je ne cesse de penser à mon immense impuissance et insignifiance, doublées de profonde lâcheté : je ne pouvais rien faire, alors j’ai fui, le plus loin et le plus longtemps possible. Je ne l’avais pas vue depuis deux mois quand ce connard de médecin m’a appelée accessoirement pour me dire que ma mère était morte, principalement pour savoir ce qu’il devait faire du corps (et non, je déconne pas. J’ai dû insister pour qu’il me laisse appeler ma sœur avant de décider quoi que ce soit, sachant que papa était à l’autre bout du monde).
Aujourd’hui j’ai tellement peur que quelqu’un me fasse ce que je lui ai fait. Je l’ai laissée toute seule et elle est morte toute seule. Je sais bien qu’elle ne voulait pas que je sois là. Mais elle a vécu la plus épouvantable des épreuves seule. Je n’étais pas là. Elle est morte toute seule. Après deux longues années de souffrances, passées presque entièrement au lit. Parce que je n’ai jamais plus osé la regarder en face après la première fois qu’elle était morte. J’aurais été plus avec elle si elle n’était pas morte une première fois. Si elle ne s’était pas réveillée d’entre les morts avec sur le visage la plus pure expression du désespoir que j’ai jamais vu : pas de la tristesse à hurler, non. Une immense, opaque et absolue résignation. Mais je crois pas que ça l’a empêchée d’avoir peur, au dernier moment. Et j’étais pas là, et pas seulement par hasard : parce que je voulais pas y être. Parce que je me protégeais d’elle. Alors même que je pense que ça me flinguerait de savoir que quelqu’un de mon entourage essaie de se protéger de moi. Et oui, oui, je suis bien la même personne qui vous explique que je méprise les gens qui disent « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». En fait, c’est cohérent, du coup. Parce que je n’ai jamais eu le courage de mes idées, ni celui de l’amour que j’aurais dû porter à ma mère.

mardi 16 avril 2019

Le printemps d'il y a cinq ans

J'ai écrit ça y a cinq ans et je suis retombée dessus un peu par hasard. Et je me suis dit que ça allait bien pour ce printemps aussi :) (dans les grandes lignes) Voici donc.


J'ai commencé à vieillir.

Ma peau est lourde de rêves en devenir qui frémissent dans mon sang.
Deux virgules violacées témoignent de mes nuits sous des yeux brouillés un rien hallucinés.
Tout mon corps s'arrondit en réponses à mes compulsions, mon cœur tente le silence, ma bouche essaie la parole...

Et mes mains... Mes mains tremblent.

Placide comme l'eau dormante, mon sang même se tarit dans mes poumons ; l'air, l'air se raréfie, j'aspire des goulées de fumée ambrée ; je me regarde dans un ciel sans tain...
Et je prie pour la pluie.

Il m'a dit autrefois que j'avais des étoiles sous les ongles
Et moi j'ai continué à gratter le sol
Dans l'espoir idiot de les déterrer enfin
Ses foutues étoiles.

Je suis un point de suspension au bout de la ligne,
Flanquée au bord du néant.

Chaque fois que reviennent les aurores dorées, que l'air s'alourdit de souvenirs en forme de parfums, que la vibration infime de la lumière piégée par un feuillage neuf jette un éclat aquatique sur l'herbe,
Je suis vieille à nouveau.

Je suis pleine d'un millier de printemps semblables à celui-ci, même si avril a des airs
D'apocalypse, même si le temps fatigué d'attendre entend rétablir sa loi.
Dans mon ventre se nourrissent des créatures qui espèrent exister.

J'écoute, mais je n'entends rien, j'apprends, mais ne retiens rien.
Et sur mes lèvres court encore le murmure d'un discours qui ne m'appartient pas
Je flanche – un genou en terre, je demande grâce.
Anonyme, je creuse ma propre tombe au milieu de tous les autres.
Un orage l'aura balayée, car en vain l'on construit sa maison sur les fondations du Déluge.

J'écoutais cette même musique en un temps qui appartient déjà à l'Autrefois, dans la nudité atroce d'une chambre d'emprunt. Elle éveillait la même fureur vaine et sublime. Elle couchait les mêmes espoirs sur le papier. La beauté de l'inutile, de l'absence, du vide.
Je voudrais déplier ma peau et mes veines, les millions d'alvéoles de mes poumons, les milliards de capillarités de mon intestin – et tout remplir de lumière pure.

Vivre avec l'impression perpétuelle que l'on va mourir, c'est peut-être cela, au fond, vivre.
J'entends au fond de moi la silence de l'espace. Ce silence antique qui est la parenthèse, l'écho, et la fin de l'existence. Ce silence dans lequel s'évanouissent les promesses de l'aube.
Sa froideur possède les tristes richesses d'une oasis que l'on espère plus.

Un crépuscule de mars bat des ailes à ma fenêtre. En moi, un vaste silence alors même que la musique se déverse, impétueuse, en trombes dans ma tête.
Je voudrais m'étendre sous le ciel dans l'herbe parée de pluie, accueillir le souffle de l'océan, miroiter d'autres univers.
Faire surface, enfin.