vendredi 21 avril 2017

Instantané




Dans le miroir musical nagent les ombres et les visages familiers. J'effleure la surface, le sang chargé d'adrénaline. C'était hier, c'était il y a un instant, c'était il y a cent mille ans. Ça n'a aucune importance. Je me fonds à la surface du miroir, le corps agressé par les spectres qui naissent dans les rêves.

La plus vieille mélodie du monde est toujours la même, en dépit de toutes ses métamorphoses. Je la déroule comme un fil, comme si elle naissait au creux de mon estomac et se répandait en filets de fumée dans mon appartement désert.

Juste un instant, déjà englouti par l'immensité de la houle.
Je veux juste le sentir, pendant qu'il existe, ce sentiment ténu, à peine plus réel qu'une étoile qui palpite dans le bleu déjà trop clair du matin.

La mélancolie possède une mélodie silencieuse, des sonorités tues qui éclatent comme des bulles de presque, des souvenirs, des reflets. Je suis une toile blanche où le monde peint son histoire.
J'ai cru des milliers de fois y parvenir, mais ainsi que le disait Pan, seul l'homme est assez fou pour penser pouvoir attraper des rayons de lune.

Funambule sur un fil d'Ariane, je progresse dans le labyrinthe, entourée des ombres et des visages familiers.

Les heures du jour, de la même immense journée, vacantes, troubles comme l'atmosphère poussiéreuse d'un grenier traversé de rayons de soleil. La même femme, assise à côté de la petite fille et de l'adolescente, dans l'ombre de la vieille femme. Les mains tendues vers la lumière. L'émerveillement dispute à la terreur dans leurs yeux humides, plein des mélodies sourdes de l'univers.
Au cœur de ma bibliothèque d'images scellée au plus profond de mon esprit, je contemple la valse des fantômes, semblable à la respiration du ressac. Mes collections de jouets abandonnés me fixent silencieusement dans l'ombre, et parfois, parfois, quand le soleil est sur le point de disparaître, les murs s'effondrent.

Le bruit de la mer dans ma tête, un murmure mâle confus et séduisant. La pression du ciel sur la poitrine. La lumière souveraine, dénuée de poids et d'identité, qui me cloue au clavier dans mon éternelle tentative pleine de révérence pour parler d'elle.

Une ou deux minutes, une minuscule éternité. Le vent passe dans mon feuillage et éveille des milliers de frissons, fait revenir à la vie toutes les terminaisons nerveuses des rêves, ancrées dans le corps et l'imaginaire. Personne n'aura jamais fini de raconter l'histoire de sa rencontre avec le monde.

Et chaque fois que le vent se lève, je suis en vie.