lundi 19 juillet 2010

Le dilemme d'Antigone, deuxième partie

Peu dormi cette nuit, après un week-end de lâcher prise avec des amis, et des moments précieux. Mais je n'ai pas envie de me coucher. Mathias et Nathalie me manquent ce soir, plus fort que d'habitude encore, je le sens physiquement. Sans eux je vis sans une partie de moi. Personne à part Scott ne me manquera comme ils me manquent. Du coup, je me sens mélancolique, pensive. Je commence à compter les jours avant de partir au Québec.
De toute façon j'attends la nuit, j'attends que la chaleur baisse, j'attends que le jour prenne fin. Trop de lumière. Chaleur lourde. Le jour est oppressant. J'ai envie de m'égarer sur des chemins plus amicaux, noirs et frais, où l'imagination s'élance librement pour modeler le silence.
La fatigue m'aide à rencontrer mon émotion. Nathalie a dit que j'aimais vivre de façon chaotique. Je ne sais pas si j'aime, mais je crois que je ne sais pas tellement vivre autrement. Une des raisons pour lesquelles j'ai du mal à me voir vivre avec quelqu'un d'autre que Scott.
Bonne résolution : arrêter de me plaindre et vivre en assumant mes conneries, en assumant ma difficulté à vivre. Vivre. A ma façon et de mon mieux.
Quand j'essaie d'expliquer à mes amis ce qui est peut-être de l'alcoolisme, je suis juste et à côté à la fois. Je n'y vois pas clair dans ce problème. Mais la première étape est d'accepter ce qu'on est et ce qu'on fait. Après, on peut choisir de changer, ou pas. La santé est importante mais elle est fragile quoiqu'on y fasse. Et la santé ne comble aucun vide. La santé n'aide pas à écrire. La santé fait partie d'un mode de vie auquel je n'atteindrai jamais tout à fait. Tirer des plans sur la comète est inutile. Il faut que j'arrive à me débrouiller, maintenant. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu l'impression de grandir. Ce soir, j'ai cette impression. Je dois me débrouiller seule, à ma façon, et selon mes moyens. Mais je peux le faire. Même si ce n'est pas aussi bien que ce que je pense qu'on attend de moi. Je dois m'en tenir à des objectifs, à des faits. Je veux écrire, je dois écrire. A moi de me débrouiller pour trouver comment. Je ne me connais pas, en fait. Je ne sais pas ce que je peux faire et selon quelles modalités, pour quelque chose qui ne m'est pas expressément demandé, quelque chose que je mets en place toute seule. Je m'aperçois que je ne sais pas comment faire, comment me gérer, comment m'épanouir pleinement. Je dois d'abord trouver ce qui me correspond vraiment, trouver mon rythme et ma manière. Je comprends maintenant que c'est aussi ça, être écrivain. C'est savoir comment écrire, selon sa personnalité, ses contraintes, ses envies, ses ennuis, ses problèmes. Je m'aperçois que je n'ai pas trouvé la vie qui me convenait. Et il est temps. J'arrête les errances, et je travaille sur ce que je veux vraiment, et les moyens de mettre ça en place. J'ai envie de passer à autre chose. De devenir ce que je suis. A vrai dire, je ne pensais pas que le chemin était si long. J'avais naïvement pensé avoir atteint une certaine maturité. Mais c'est faux. C'est un chemin qui traverse toute la vie, et je suis certaine que si j'atteins la quarantaine, la cinquantaine, et après, j'aurai toujours cette impression de grandir.
J'en ai assez de culpabiliser, et d'être insatisfaite. Je veux vivre ma vie. Je veux être moi-même. Je veux donner tout ce que j'ai, car si je ne le fais pas, ma vie n'a pas de sens. C'est ma réponse au dilemme d'Antigone. Je dis oui, mais je m'engage à devenir ce que je suis. La vie, en dehors de ce que je peux y mettre, de ce que je peux en faire, c'est une énorme blague de mauvais goût, c'est moche, et ça peut me mettre au fond du trou rien que d'y penser, cette mélasse quotidienne, cette lassitude, cette monotonie, ce dégoût progressif qui nous ronge jusqu'à ce qu'on ne devienne que des ombres de nous-mêmes. Je suis terrifiée par ça. Tellement terrifiée que je le provoque. En face de la possibilité d'un échec, le provoquer, c'est s'assurer la certitude d'avoir mal. Peut-être est-il plus facile de vivre en se montant la tête avec des futures douleurs, plutôt que de plonger dans l'inconnu, de ne croire à rien, pas même à son propre malheur, pas plus qu'à son propre bonheur. L'inverse est plus difficile, croire à son propre bonheur, c'est s'exposer à de grandes déceptions. Mais marcher en aveugle, c'est peut-être ça qu'on n'arrive pas à faire. Ne dire ni oui, ni non. Vivre. Epuiser sa vie, la consumer, la boire jusqu'à la lie. Sans se demander si on s'empoisonne ou bien si on s'enivre. Je ne supporte pas la fadeur, je n'ai pas envie de devenir fade, résignée, habituée, bien dressée à accepter la misère d'une vie soutenue par des béquilles et lestées par mille fardeaux. C'est au-dessus de mes forces. Je veux vivre. Et ce mot n'implique pas pour moi des devoirs, des responsabilités, des horaires, un bon comportement. Non, ça implique de se jeter dans le gouffre du hasard. D'assumer de ne pas être parfait. De ne pas chercher à être ce qu'on n'est pas. D'habiter son corps jusque dans les moindres extrémités. De pleurer et de rire avec sincérité. Il n'y a aucune règle, aucune loi, aucun schéma de vie. Il n'y a que ce qu'on en dit, et ce qu'on en fait. Je l'avais oublié. Comment ai-je pu ? Mais j'ai oublié. J'ai culpabilisé. Je me suis morfondue. J'ai essayé d'être plus correcte. J'en ai plus qu'assez de cela.
Je dirais que s'il y a un grand mal à notre époque, c'est la culpabilité. On peut choisir le genre de vie qu'on veut, en théorie. En vrai, on aspire tous à des standards. J'en ai plus qu'assez de réduire mes ambitions à un schéma de société.
Je veux devenir ce que je suis.





4 commentaires:

  1. Et tu y arriveras, je te crois suffisamment courageuse pour y parvenir. Le plus difficile est d'accepter de na pas avoir une vie "sécurisante" et c'est je suppose également source de réception de poings dans la figure. Mais tu sais encaisser, sans doute, et tu sauras sortir ton fameux crochet du gauche pour mettre KO l'adversité, malgré les rounds pendant lesquels tu a été comptée...
    (Le message était bien parti, mais la métaphore de la boxe enlève tout le sérieux du propos... :D - mais c'est mieux comme ça ;))

    RépondreSupprimer
  2. Je crois que tu as mis le doigt sur quelque chose d'important: tu dis avoir essayé d'être plus correcte, et qu'on réduit nos vies à des standards.
    Tu as suffisamment de lucidité et de force de caractère, je pense, pour répondre honnêtement à cette question : t'es-tu inventé tes propres normes ou penses-tu avoir essayé de deviner ce que les gens voulaient pour toi?
    Car ce qui fait culpabiliser, ça peut autant être de ne pas arriver à être ce qu'on attend de nous (par exemple, quand j'avais l'impression que j'aurais dû être plus ceci et moins cela pour te plaire), que de ne pas atteindre ses propres objectifs. Mais de mon expérience, c'est très difficile de distinguer ses propres objectifs de la mélasse quotidienne.
    Je suis sûre que je m'embrouille un peu, parce que ton message est long et que ce sont des réflexions que je me suis aussi faites, très souvent. Je vais prendre un exemple: beaucoup de gens m'ont donné l'impression que j'étais complètement folle d'aller m'installer de l'autre côté de l'Atlantique, parce que c'était une situation instable et que j'allais être loin des gens que j'aime. Mais ils avaient tord, parce qu'ils pensaient que ce dont ils n'étaient pas capables, ou ce dont ils ne voulaient pas pour eux, était applicable à moi également.
    C'est comme pour l'alcool. Il ne faut pas non plus tomber dans l'auto-complaisance, mais de mon expérience, ce sont aussi des choses qui vont et viennent en fonction des circonstances. Je bois toujours un peu trop, mais nettement moins qu'avant, pour la simple et bonne raison que je travaille aux heures où avant je buvais ;) Il faut trouver ses propres limites : si tu trouves que tu n'arrives plus à faire ce que tu voulais parce que tous les matins tu te lèves la gueule en vrac, y'a un problème. Si t'es bien comme ça et que t'es pas ivre morte toute la journée, eh bien, fais ce que tu veux. Pendant ce temps-là, les autres se goinfrent de guronzan, d'anti-dépresseurs ou de chocolat, ou bien ils font des grands discours sur ce qui est bien ou pas mais à côté, ne font rien de ce qui serait vraiment bien pour eux.
    Enfin voilà. Cesse de te morfondre en pensant à ce qui est censé être bien ou mal! Vis ta putain de vie, et si tu préfères manger des pâtes plus souvent mais en contrepartie, écrire et voir tes amis, ça ne regarde que toi, et tu ne seras certainement pas plus heureuse en essayant de coller à un style de vie qui ne t'attire pas. Il faut juste être assez lucide pour voir quand on est complaisant avec soi-même.

    Gros bisous!! <3

    RépondreSupprimer
  3. C'est assez drôle, parce que j'ai tenu le même discours l'autre soir à mon cousin (sur le fait de partir, de vivre comme on veut, sur la bouffe et l'alcool), et je n'avais pas encore lu ce billet. Du coup, forcément, je rejoins ta façon de voir, et j'acquiesce fortement à tout ce que viens de dire Nath.

    RépondreSupprimer
  4. Oui, vous avez raison, c'est le juste milieu que je dois trouver, entre la complaisance et le fait d'assumer ce qu'on est. Je pense que c'est vraiment moitié-moitié, le fait de m'être inventé des normes et deviné ce que les gens veulent de moi. On est tous forcés de constater qu'on vit dans un monde cruellement dénué de fantaisie, de légèreté, de désir, de profondeur, de spiritualité. Je ne comprends pas les autres gens. Je ne comprends pas comment ils peuvent vivre ainsi. Dans mon monde, les gens ne se marieraient pas, n'auraient des enfants qu'occasionnellement, ne te regarderaient pas de travers parce que tu as un brin d'imagination, penseraient que la vie c'est se faire plaisir et ne pas s'astreindre aux devoirs imaginaires qu'impliquent la vie familiale (le sérieux par exemple, quelle ironie du sort, lorsqu'il entraîne les gens à devenir alcooliques et dépressifs). Pour moi, la vie, c'est autre chose que faire le contraire de ce qu'on a envie, et ce n'est pas obligatoirement souffrir. Et tout cela ne vient pas de moi. J'ai été élevée dans une famille où la souffrance a toujours été mise sur le devant de la scène, ça a toujours été la star de nos soirées... Et j'ai mis beaucoup de temps à comprendre que je ne suis pas obligée d'être aussi malheureuse que mes parents.
    Enfin ça c'est encore autre chose, et je ne vais pas faire ma psychanalyse sur un commentaire d'article... On en reparlera une autre fois :) Merci pour votre confiance, en tout cas, ça fait chaud au coeur :)

    RépondreSupprimer