Demain il faudra tout recommencer,
mais je n’y pense pas trop. Je suis dans cet entre-temps du jour de congé, dont
j’avais tout oublié avec mes journées d’oisiveté que je passais à la maison, où
je me cherchais du travail sans réel but. Ici et maintenant je peux profiter
totalement de cet intervalle vide, cette solitude qui me fait un bien fou.
Juste la musique, qui m’évoque tant de choses, un bon roman, qui m’interroge et
me divertit à la fois, et quelques pensées jetées ici, avec ma connexion au
monde qui demeure en veille, et je vais voir parfois si j’ai des échos des gens
qui se trouve à 7000 kilomètres de moi. Je prends le temps de penser, de
réfléchir, et je dois dire que je me trouve très sereine. Préparée, en quelques
sortes, à vivre le reste de ma vie, quelle qu’en soit la teneur. Je sais que je
peux juste donner des impulsions, dans un sens ou dans l’autre. Je ne peux ni
retenir le temps ni contrôler les événements. Par contre je peux accepter cela,
et cesser de subir pour vivre. On doit se faire plus souple, plus malléable,
pour pouvoir vivre heureux. On doit être flexible, on doit pouvoir s’accommoder
du chaos. C’est la seule façon. Le seul combat qui vaille vraiment la peine d’être
mené, je crois. Entretenir son jardin intérieur, à la façon des mystiques
soufis. Moi, j’y parviens surtout par la contemplation, l’introspection, et non
pas la méditation, mais la rêverie. Je me dis que rien n’est grave, au fond. On
n’a plus peur d’être seul quand on n’a rien à se cacher à soi-même. Quand on
sait qui l’on est, aussi relative et fluctuante que soit cette notion. Non, je
ne crois pas être pure énergie, être anonyme comme une goutte de pluie. Par
contre je ne pense pas que mon individualité puisse survivre, tandis que mon énergie,
peut-être, oui… Le je n’est peut-être qu’une forme. Et quand bien même ce
serait le cas, est-ce une raison pour y renoncer ? Certes, j’aspire à la
dissolution. Plus ou moins secrètement. Mais j’aspire aussi à vivre ma vie
telle qu’elle est, dans la forme qu’elle a, de la vivre et de l’aimer
passionnément et d’avoir le courage de l’accepter dans son éphémérité même.
Achille dans Troie dit que si tout est si beau, c’est parce que nous allons
mourir. Et j’ai comme lui tendance à penser qu’aucun nirvana ne vaut ces quelques
heures de passion éperdue. Je veux vivre, aimer autant que j’en suis capable,
et cette aspiration, je le crois, je le découvre, plutôt, est plus puissante
que celle de la dissolution, qui est plutôt comme une hantise, un rêve
personnel, un cauchemar familier. Mais c’est bon pour les moments de solitude,
c’est bon pour les soirées d’écriture effrénées et alcoolisées. Et je
continuerai à conjuguer cette vie avec l’autre, parce que l’une ne va pas sans
l’autre. Je ne peux ni échapper ni transcender ma condition d’individu mortel,
même avec toutes les mystiques du monde. Et je ne peux renoncer à l’amour, cet
amour qui lie autant qu’il libère. Je ne crois guère, au fond, à l’amour
universel, même si je crois profondément en la compassion. L’attachement
provoque peut-être tous les maux de l’humanité, mais il est l’essence même de
la passion. Et pour cela, je persiste et signe, pour cela, je me constitue prisonnière.
Le
ciel peut bien m’attendre…
"Et pour cela, je persiste et signe, pour cela, je me constitue prisonnière."
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