mardi 16 avril 2019

Le printemps d'il y a cinq ans

J'ai écrit ça y a cinq ans et je suis retombée dessus un peu par hasard. Et je me suis dit que ça allait bien pour ce printemps aussi :) (dans les grandes lignes) Voici donc.


J'ai commencé à vieillir.

Ma peau est lourde de rêves en devenir qui frémissent dans mon sang.
Deux virgules violacées témoignent de mes nuits sous des yeux brouillés un rien hallucinés.
Tout mon corps s'arrondit en réponses à mes compulsions, mon cœur tente le silence, ma bouche essaie la parole...

Et mes mains... Mes mains tremblent.

Placide comme l'eau dormante, mon sang même se tarit dans mes poumons ; l'air, l'air se raréfie, j'aspire des goulées de fumée ambrée ; je me regarde dans un ciel sans tain...
Et je prie pour la pluie.

Il m'a dit autrefois que j'avais des étoiles sous les ongles
Et moi j'ai continué à gratter le sol
Dans l'espoir idiot de les déterrer enfin
Ses foutues étoiles.

Je suis un point de suspension au bout de la ligne,
Flanquée au bord du néant.

Chaque fois que reviennent les aurores dorées, que l'air s'alourdit de souvenirs en forme de parfums, que la vibration infime de la lumière piégée par un feuillage neuf jette un éclat aquatique sur l'herbe,
Je suis vieille à nouveau.

Je suis pleine d'un millier de printemps semblables à celui-ci, même si avril a des airs
D'apocalypse, même si le temps fatigué d'attendre entend rétablir sa loi.
Dans mon ventre se nourrissent des créatures qui espèrent exister.

J'écoute, mais je n'entends rien, j'apprends, mais ne retiens rien.
Et sur mes lèvres court encore le murmure d'un discours qui ne m'appartient pas
Je flanche – un genou en terre, je demande grâce.
Anonyme, je creuse ma propre tombe au milieu de tous les autres.
Un orage l'aura balayée, car en vain l'on construit sa maison sur les fondations du Déluge.

J'écoutais cette même musique en un temps qui appartient déjà à l'Autrefois, dans la nudité atroce d'une chambre d'emprunt. Elle éveillait la même fureur vaine et sublime. Elle couchait les mêmes espoirs sur le papier. La beauté de l'inutile, de l'absence, du vide.
Je voudrais déplier ma peau et mes veines, les millions d'alvéoles de mes poumons, les milliards de capillarités de mon intestin – et tout remplir de lumière pure.

Vivre avec l'impression perpétuelle que l'on va mourir, c'est peut-être cela, au fond, vivre.
J'entends au fond de moi la silence de l'espace. Ce silence antique qui est la parenthèse, l'écho, et la fin de l'existence. Ce silence dans lequel s'évanouissent les promesses de l'aube.
Sa froideur possède les tristes richesses d'une oasis que l'on espère plus.

Un crépuscule de mars bat des ailes à ma fenêtre. En moi, un vaste silence alors même que la musique se déverse, impétueuse, en trombes dans ma tête.
Je voudrais m'étendre sous le ciel dans l'herbe parée de pluie, accueillir le souffle de l'océan, miroiter d'autres univers.
Faire surface, enfin.