lundi 20 février 2012

Je ne suis plus humaniste

God's just a copy of an imitation... (Marilyn Manson, Target Audience)

Je fais semblant d’avoir quinze ans. J’envoie la musique très forte, et je fais comme si devant moi il n’y avait rien d’autre qu’une journée insipide de cours à laquelle on me force à aller – alors je n’ai pas besoin de participer – du coup je me fous de tout, je peux y aller avec trois heures de sommeil dans les cernes, la musique vissée aux oreilles – et vous verrez de quoi je serai capable dans quatre ans – je vais vous épater, vous aller voir, vous avez voulu me fouler aux pieds, me donner des coups jusqu’à ce que je sois de la bonne forme pour rentrer dans le bon moule. Celui qui s’appelle baccalauréat. Vous avez pas trop mal réussi, je l’ai eu. Mais six ans après, rien n’a abreuvé la rage qui m’incendie le ventre. Je me sens toujours comme une intruse dans votre carnaval. Je ne crois toujours pas à vos masques, même si vous faites plein d’effort pour qu’ils paraissent vrais. Je me sens tellement vivante la tête nue, le vent en plein visage. J’ose toujours croire, avec toute la folie qui ne caractérise plus mon âge (à mon âge, on commence à penser à s'endetter pour trente ans, à se marier et à faire des enfants, bref, à "faire sa vie d'adulte", ce qui implique de "prendre ses responsabilités" et "d'avoir les pieds sur terre"), j'ose toujours croire que je suis libre.
La haine qui me reprend ces soirs-là me détruit peut-être peu à peu, mais grâce à elle je suis loin de vous, sûre de mes choix, orgueilleuse, peut-être, mais du moins je ne fais pas honte à mes dix-sept ans. Très souvent, quand je vous regarde, je vous imagine enfants, et d’un seul coup votre masque tombe, et j’ai pitié de vous. Savoir que je ne serai jamais comme vous me procure une joie que vous ne pouvez pas imaginer.
Est-ce que j'ai déjà voulu être pareil ? Je ne crois pas. Quand j'étais ado, la bizarrerie était une revendication. ça faisait du bien. Aujourd'hui, ça ne l'est plus. Mais je constate juste que le monde et moi, on n'est pas sur la même longueur d'onde. Tant de temps passer à "comprendre". à étouffer la révolte parce qu'il y a des "raisons". Je me contrefous de qui est coupable, si seulement on pouvait comprendre ça ! Moi, ça m'est égal, je ne cherche pas de bouc émissaire. ça ne m'intéresse pas ! Je n'ai pas le goût de la vengeance. Le monde a passé mon seuil de tolérance, et je consomme la rupture. Non, je ne vais pas me faire punk et dire fuck le système. Je vais juste arrêter de comprendre et de hocher la tête. Je vais suivre la piste refroidie de mes rêves. Je vais arrêter de me soucier de ce que je devrais faire (je veux dire par-là ce que je ne me suis pas imposé à moi-même, mais ce que je crois que je dois faire de par mon éducation ou la morale qu'on m'a inculquée. Seconde crise d'adolescence: je ne serai jamais comme mon père. Je n'ai pas envie de souffrir pour les autres, et j'en suis fière.)
En somme, je me débarrasse de mes complexes, de ce carcan de morale qui me pèse sur les épaules alors qu'il est imaginaire. On vit dans un monde où rien n'est tracé, où on est absolument libre d'être qui l'on veut, et on s'en rend à peine compte, c'est le comble ! Rien ni personne ne m'a réservé une place. Je n'ai aucune obligation à être quoi que ce soit. Il est temps de s'en apercevoir !
Tout ce que j’ai de précieux est dans ma tête. Ça ne tient pas à des photos ou à des meubles. Je n’ai rien de précieux en ce monde.
Avec vos religions ou vos petits principes de bien-être, minuscules mantras dans l’immense marécage de vos angoisses, je vous regarde coasser vainement. Vous voulez recommencer, toujours, être plus performants, plus forts, plus efficaces. Toute votre vie mesurées à l’aune de la sacro-sainte réussite sociale. Je vous hais.
Assez d’être conciliante, je vous ai assez compris. Permettez-moi maintenant d’entamer la rupture. Je divorce. Je ne suis plus humaniste. Oui, ça me fait mal, oui c’est dur à avaler après tant d’années à avoir défendu la cause. Mais voyez-vous, j’ai fini par comprendre que l’humanité nuisait à ma cause, comme des enfants qui s’accrochent à mes jupes. Désolée de vous abandonner, mais les explications, c’est terminé. Comme tout le monde, je suis condamnée, et je n’ai plus de temps pour ça. Cultivez vos champs et vos hasards. Je n’ai plus envie de m’intéresser à vos réalisations de forcenés. Je ne parlerais qu’aux affranchis. Les autres ne me tendront jamais la main, je l’ai enfin compris. Je ne suis pas masochiste, alors je vais arrêter de m’intéresser à ceux qui ne lèveront jamais le petit doigt pour me défendre. Je préfère tout affronter toute seule que de m’allier avec les tièdes. Et prendre cette décision me donne une cure de jouvence ; je me réconcilie enfin avec mes dix-sept ans.
Il y a bien longtemps je considérais l’idée de me jeter par la fenêtre en écoutant cette chanson. Compter jusqu’à six, et simplement mourir. Aujourd'hui je comprends que pour faire ce choix « oui » – car on n’en a qu’un seul dans la vie – c’est vivre ou mourir – il me fallait oublier les vieilles rengaines. Ce monde ne me soutiendra jamais. Assez de croire au peuple éclairé. Je me délivre enfin de ce fardeau – je dépose ma croix. Je continue le chemin seule, merci.

I'm not a slave to a god
That doesn't exist
I'm not a slave to a world
That doesn't give a shit
Fight, fight, fight !! (Marilyn Manson, Fight song)

PS : Ces temps-ci ça bouillonne, il faut croire que je devrais toujours être en vacances. Comme il y a deux billets à la suite, je vous prie quand même de regarder celui qui est en-dessous.
PS2: il va de soi que le "vous" ne vise personne, il faut lire ce message comme une lettre ouverte à l'humanité ;)

1 commentaire:

  1. J'aime bien relire ce billet le matin, comme un écho au mantra de Ronan Harris : "I'm not afraid, i'm not alone, i'm not unhappy". Bien que ce dernier soit quelque peu désenchanté.

    Un "oui" vrai, entier, est une décision difficile à prendre. Il faut faire fi d'un background envahissant, et surtout se méfier de ses tentacules invisibles. Au risque de passer pour d'ennuyeux nombrilistes, nous n'avons pas d'autre choix que l'introspection, encore et toujours, car il nous faut savoir exactement où nous en sommes, pour qui, et pourquoi.

    En tout cas, je lutterai toujours à tes côtés, car il faut bien qu'il en reste, des enfants, dans ce monde d'adultes assassinés !

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