lundi 15 mars 2010

House of the rising sun

Drinking : rosé
Listening : Loreena McKennitt - Mummers' Dance ; Cruachan - Ride on ; Corvus Corax - Suam Elle Ires ; Nine Inch Nails - Something I can never have (album version, terrifiant, je trouve...); Hans Zimmer - Now we are free ; The Old Dead Tree - Everyday life ; The Animals - House of the rising sun ; Sia - Breathe me ; Saez - Delphine et Hyppolite ; Ludivico Einaudi - Primavera

Avez-vous l'impression que parfois chaque jour, et en particulier, chaque soir, est une lutte ? Contre le vide, contre l'angoisse, contre l'apathie. J'épice mon univers de musique et de vin. J'ai écrit, ce soir, mais chaque fois que j'écris ; j'ouvre la boîte de Pandore. Des émotions me sautent au visage, anciennes et neuves, sans mélange, brutales. Cela me fait un peu peur. Je crois que j'ai besoin d'une bulle de temps et de silence, chaque jour, si je veux écrire. Car très vite je suis perdue, à la dérive entre deux mondes, et je ne peux aisément revenir à la réalité, et ne suis alors disponible pour personne, sauf peut-être un esprit bavard, lunatique et rêveur qui se trouverait sur la même longueur d'onde que moi à ce moment. Ce qui n'arrive donc que très rarement. Je me perds si vite et si facilement. Je décroche. J'ai une armée de rêves et de souvenirs qui se battent en duel dans mon ciel intérieur trop changeant. La musique me nourrit et me sculpte à coups de haches. Je change d'apparence à mesure que s'écoulent les notes. Il faudrait que je sache assumer cette dérive intérieure, mettre un panneau : "c'est plus la peine de m'approcher, à moins que tu me parles en langage surréaliste." Vous comprenez ? Des fois je m'en veux de m'exiler si facilement. Et encore, je dis ça, mais non, ça n'est pas facile. Il me faut parfois des heures pour féconder la nuit entière.
Disons que cette attitude me semble parfois narcissique. Mais je n'y peux rien. Mais je me sens toujours coupable.
Et c'est fragile, si fragile. le charme s'évapore trop vite. Ce n'est pas tout à fait compatible avec le solitude totale ; la preuve, j'éprouve le besoin d'écrire ici. Ce n'est pas non plus compatible avec le quotidien et les masques. Car quoiqu'on en dise, on en utilise tous, tout le temps. C'est compatible avec la fureur de vivre. Et c'est tout.
Quand ça vient, le monde me semble soudain étranger, comme dans un rêve. Tout me paraît démesuré et infini. C'est pourquoi souvent j'en appelle à Dionysos. Les Grecs avaient un nom pour l'ivresse (et je parle d'une ivresse plus spirituelle que celle qu'induit l'alcool, l'alcool ne fait que soutenir et parfois épanouir cette ivresse-là). Il nous manque un nom pour ça. Il nous manque un espoir pour le faire vivre (lapsus, je voulais dire un espace, mais les deux mots conviennent...) Les chantres de l'imaginaire n'en ont pas plus qu'un cadre trentenaire dynamique. Il manque quelque chose. Putain, vous trouvez pas qu'il manque quelque chose ?
Un soir comme ça j'ai envie de vous écrire la plus belle tragédie que vous ayez jamais lu... Mais ça ne se fait pas sans travail... Du coup, j'ai envie de vous donner des poèmes, des paroles qui me semblent paroles d'évangiles... Mais, non. C'est ainsi. Une écriture est faite d'hésitations et d'angoisse. Que cela reste ainsi.
Tout cela est très décousu je le sais bien, mais je ne peux faire mieux. De toutes façons, personne n'est obligé de lire, ce qui me délivre a priori de toute culpabilité de raconter absolument tout ce que je veux. Mais tout est "a priori" dans ce monde, même les valeurs les plus fondamentales...
Je veux élaguer la vie. La rendre à sa pure nécessité, à sa beauté. Primitif et orgueilleux. Qu'est-ce qui restera de nous ? Pour ma part, ce sera quelques soirées de beuverie, quelques couchers de soleil, quelques baisers, quelques concerts. C'est presque tout. Que reste-t-il ? C'est une question qui m'obsède, lorsque le quotidien s'encombre d'inutile. Quelques saveurs, une odeur de pin, l'air du soir en plein été lorsque la rosée est tombée. Quelques chansons qui tombent dans le silence. Quelques personnes à la lisière, même si je sais que everyone goes away, in the end...
Je ne peux supporter de laisser tout en l'état. Il faut sans cesse que je transforme, que je sculpte, que je dise. ça me fait autant de mal que de bien ; j'en ai l'impression certains soirs, surtout ceux-là, où le chemin qui m'emmène va plus profond dans la mélancolie. La nostalgie y joue aussi, étrange. Je ne suis pas vieille, ce ne sont pas mes vingt ans que je regrette. Et pourtant, je suis sure de connaître ce sentiment. Qui dépasse des années, des villes, des personnes. C'est difficile à exprimer.
Voilà, il ne reste plus rien de tout cela qu'une vague incertitude. Parfois je me dis que la seule manière d'aller jusqu'au bout de mon vertige, ce serait de mourir. Je n'ai pas envie de mourir. Mais comme je mourrai un jour, j'aimerais que ce soit comme cela, appelée au-delà de moi-même par la musique et la poésie.

"On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maître!"
Mais l'enfant, épanchant une immense douleur,
Cria soudain: "Je sens s'élargir dans mon être
Un abîme béant; cet abîme est mon coeur!

"Brûlant comme un volcan, profond comme le vide!
Rien ne rassasiera ce monstre gémissant
Et ne rafraîchira la soif de l'Euménide
Qui, la torche à la main, le brûle jusqu'au sang.

"Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos!
Je veux m'anéantir dans ta gorge profonde
Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux!"

- Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l'enfer éternel!
Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes,
Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel,

Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d'orage.
Ombres folles, courez au but de vos désirs;
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,
Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.

Jamais un rayon frais n'éclaira vos cavernes;
Par les fentes des murs des miasmes fiévreux
Filtrent en s'enflammant ainsi que des lanternes
Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux.

L'âpre stérilité de votre jouissance
Altère votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieux drapeau.

Loin des peuples vivants, errantes, condamnées,
À travers les déserts courez comme les loups;
Faites votre destin, âmes désordonnées,
Et fuyez l'infini que vous portez en vous!

Baudelaire: Les Fleurs du mal, Femmes damnées (1861)

2 commentaires:

  1. Eh bien je pense que je te comprends... C'est à peu près la teneur de mes derniers billets... Et c'est aussi la raison pour laquelle j'ai choisi de m'isoler ces derniers jours, incapables que j'étais, suis encore, de sortir de moi-même. C'est épuisant, et oui, profondément narcissique, mais je ne crois pas que l'on puisse créer en bavardant. Il y a un temps pour tout. Un pour s'abreuver du monde, un pour le transformer. Cette étape-là doit se passer dans le silence de la solitude, de l'auto-contemplation.

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  2. Oui, tout à fait, je crois qu'il faut s'y faire et l'assumer, quitte à passer pour des rustres ;)

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