Je
repense à la peur. À la nécessité de savoir vivre avec. On est
tous, tout le temps, amenés à chercher à se rassurer. Mais parfois
il ne faut pas. Il faut juste affronter sa peur. Le conseil que j’ai
le plus détesté au lycée. Mais il y a un moment pour le faire. Pas
parce qu’un adulte bien intentionné vous le dit. Parce que vous en
éprouvez la nécessité profonde, intérieure. La seule nécessité
qui vaille. Celle qui vous inspire, vous insuffle ce courage de faire
face.
Il
y a tellement de choses que je ne comprends pas dans ce monde. Ne pas
comprendre les autres me terrifie. Ne pas me comprendre moi-même me
coupe de ma propre existence. Et pour comprendre... Il faut que je me
batte. Je ne peux pas céder du terrain à la peur. Je dois revenir
sur le ring. Celui que je déserte pour plus de confort. Pour
consacrer mon énergie à d’autres choses. Mais je dois
revenir sur le ring. Ce n’est pas impératif moral, ce n’est pas
ma culpabilité qui m’y conduit. C’est mon élan, ma force
vitale. Ce que j’appelle la nécessité intérieure.
Peut-être
que j’ai besoin de boxer, en fait. Peut-être que je suis incapable
de concevoir mon existence sans la peur comme ennemie. C’est vrai,
probablement aussi, que je n’ai jamais cherché à m’en faire une
alliée. La peur, c’est ce truc qui me noue les les tripes et qui
nourrit beaucoup de voix dans ma tête. Mais je ne peux pas l’affronter si je ne choisis pas mon moment. C’est toujours elle
et moi, sur le ring, dans un clair obscur à la Je t’aime
mélancolie de Mylène Farmer. Et je boxe, je boxe, toute seule le
samedi soir. Parce que ma peur, c’est ce qui se met entre moi et
ces histoires qui me brûlent le bout des doigts. C’est un éclat
de glace fiché dans mon estomac qui me paralyse quand je songe à
prendre une décision. C’est ce qui me fait penser la chose la plus
horrible du monde : « c’est pas si grave. c’est pas si
important ». C’est toujours important, à plus forte
raison si la peur s’en mêle.
Je
suis en vacances. En vraies vacances, coupée de ma boîte e-mail
pro, et pendant trois semaines. Ça ne m’est plus arrivé depuis ma
vie étudiante. J’ai presque l’impression de devoir réapprivoiser
cette forme particulière d’inactivité. Réapprivoiser mon
environnement. Après le premier week-end passé à végéter en
jouant à mon jeu vidéo du moment, j’ai passé la journée du
lundi à faire du rangement et du ménage. À me réapproprier
l’espace. Mon espace. Parce que l’une des constantes dans ma vie
c’est de ne me sentir appartenir à rien et à nulle part. D’être
constamment de passage, d’avoir un sentiment proche de
l’illégitimité, comme si j’empruntais tout, y compris ma vie.
Parfois cette impression s’efface, et ça arrive dehors quand je
suis bien dans ma peau, chez moi quand je prends le temps de me poser
dans l’instant présent et me concentre sur l’immédiat et
l’existant. Mon appartement est mon antre, ma citadelle, ma bulle.
J’aime y rester pendant des périodes prolongées, j’aime y être
seule, parce que c’est ainsi que se forment mes rêves, ainsi que
je deviens créative, autrement dit, je le crois toujours, capable de
donner le meilleur de moi-même. Ne pas pouvoir faire toutes ces
choses, c’est comme une forme de violence, lente et latente, et ça
finit toujours par me faire craquer, physiquement, psychologiquement.
Savoir s’écouter c’est un art, car faire la différence avec la
complaisance n’est pas si facile.
J’écrivais
tout à l’heure, ailleurs, qu’on ne cesse jamais, ou du moins
qu’on ne peut pas avant très longtemps, de surmonter un
traumatisme. Parce que même si les émotions engendrées par
l’événement ou la suite d’événement sont apaisées, on doit
ensuite affronter les conséquences en nous-même. Un traumatisme est
comme un arbre enraciné profondément dans le cœur et la psyché.
Il peut changer la façon de vivre, la façon de voir, la façon de
pensée. Il peut bouleverser la gestion des émotions, rendre
instable, impuissant. J’ai toujours été d’accord avec le fait
qu’il fallait apprendre à accepter ses failles. Mais ce n’est
même pas de les accepter, le plus dur. C’est simplement d’arriver
à vivre avec. Je suis une grande habituée de l’instabilité
émotionnelle, en soi elle ne me gêne pas, pas vraiment... C’est
le dégoût, la haine de soi, la culpabilité, l’anxiété et la
colère engendrées par tout ça qui sont des problèmes. Et je me
réveille en vacances et je sens que j’étais très fatiguée par
tout ça. Que j’ai réalisé que les racines de l’arbre
traumatique pompait mon énergie vitale. Que je devais, en somme, me
recentrer. Respirer. Sinon, réappropriation d’espace ou pas, je ne
parviendrai pas à écrire. Je ne parviendrai pas à avancer. Alors
parfois il faut arrêter d’essayer d’avancer. Laisser les rêves
éclore. Les regarder se déployer comme la fumée. Ne pas chercher à
devancer sa propre vie.
Non, je n'ai pas écrit depuis juillet ici. Oui, le premier article que je poste après si longtemps, c'est une playlist. Et alors, qu'est-ce que vous allez faire ?! C'est mon blog, nah !
Bon, passés ces enfantillages... (en plus y a probablement que deux personnes qui me lisent :D faute de vous apprendre beaucoup de choses, ça vous remettra peut-être en tête des trucs cools ;)
La plus belle chanson de tous les temps
Celle-ci, parce que quelle que soit mon humeur, quelle que soit la période de ma vie, j'y reviens toujours, et elle trouve toujours de nouveaux moyens de m'émouvoir ou même de me bouleverser.
Autrement, il y a celle-ci, parce que c'est le plus beau poème d'amour qu'on ait jamais écrit, et la voix chaude Jean Ferrat sait lui rendre hommage.
J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu'il fait jour à midi qu'un ciel peut être bleu
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson.
La chanson que vous écoutez en boucle en ce moment
Hm... Y en a plein........ Nan, mais, vraiment plein... Bon j'en pioche deux, du coup :
J'aurais jamais pensé que ça rende si bien en acoustique.
Et puis ça, c'est la chanson du matin. Ça m'éclaircit l'esprit. Sans doute parce que ça m'évoque le genre de paysages qu'on voit dans la vidéo. Cherchez pas :)
La chanson que vous écoutez pour une nuit d'amour
Mon homme comprendra... Les autres je pense vont nous prendre pour des psychopathes, mais c'est pas très grave. (mais ce passage de 2:50 à 4:37 c'est comme une métaphore musicale du plaisir menant à l'orgasme, quoi :D)
Dans le même esprit y a ce titre...
Sinon dans un autre registre... (comment ça, j'ai un rapport au sexe un brin mystique ?! Mais ces percus... c'est conçu pour, non ?! Pour l'amour... ou pour la guerre... les deux à mon avis :)
La chanson que vous écoutez en secret
Ahah, c'est probablement la catégorie où y en a le plus... Petite sélection !
Ces gars sont des grands gamins et je les adore pour ça. Tout est mythique dans ce clip.
Y a tout plein de génériques d'anime un peu neu-neu que j'adore. Celui-là en fait partie. Il me rend bêtement heureuse (Bleach)
Tiens en parlant de trucs japonais... Y en a qui ont absolument tout compris aux plaisirs coupables. Des barres de rire, et que du plaisir. Meilleure chorégraphe EVER !
Et l'éternel indémodable que j'ai toujours envie de chanter à tue-tête.
Et puis celle-là aussi, mais c'est presque pas coupable puisqu'en vrai tout le monde l'adore.
Depuis que je suis adolescente, l’été
a toujours été une saison étrange.
Mon premier été étrange date de mes
quatorze ans. Le déménagement en Bretagne, la nouvelle chambre, la
nouvelle maison. J’ai accroché des voilages mauves pâles qui
capturaient le soleil, je me maquillais à genoux dans la salle de
bain parce que l’armoire à pharmacie n’avait pas été encore
fixée au mur, je me promenais désœuvrée dans le très grand
jardin silencieux.
C’est le premier été sans vacances,
le premier été lourd de lumière, agité de rêves comme si je
dormais le jour, le premier été accablant.
L’été est un désert. L’été est
léthargie, soupirs, frissons parfois. Sentimentalement l’été est
porteur d’émotions profondes et intenses. C’est en été que
j’ai dit au revoir à des gens qui me sont chers, c’est en été
que je suis tombée amoureuse. Je ne sais plus où je suis, en été.
L’asphalte se gonfle pendant le jour, il reste chaud toute la nuit,
les soirées sentent l’aventure, les matins sont tapageurs, les
après-midi sont interminables.
La mélancolie de l’été est presque
lascive, elle palpite en sourdine, elle s’étend et s’étend
comme une grasse matinée qui m’en finit pas.
Je ne sais pas trop pourquoi je me sens
souvent triste en été. Le cœur de l’hiver et le cœur de l’été
ne sont, disons, pas mes moments favoris de l’année. Je respire
mieux en automne.
Et pourtant, l’été reste toujours
plein de promesses. L’été je suis une funambule, plus que jamais,
entre des émotions contradictoires, l’été je suis fragile, l’été
je ne sers plus à rien.
Mais j’avais quand même envie de
vous partager ma playlist de l’été, qui reflète un peu tous ces
moments et toutes ces émotions à la fois.
La musique du road trip par excellence,
celle qui m’emmène à tous les horizons, celle dans laquelle je me
perds, et me reperds, et me reperds encore. Elle me parle de fuite en avant mais aussi des saisons qui reviennent, des souvenirs qui se heurtent au présent, elle me parle de sens de la continuité, comme les marquages sur le bitume qui défilent sous les roues, et de l'horizon qui se trouble dans le rétro.
Pour les après-midi sereins, il y a Simple Minds :
L'été c'est aussi parfois le retour en enfance, la joie sans arrière-pensée. Et hop ! Déferlement de shonens !
Et l'été... C'est aussi l'envie de danser. (ah! vous aviez cru que vous alliez déprimer tout le long du billet, hein, avouez !) Et cet été, ma chanson phare, c'est celle-ci.
Mais on peut aussi se déhancher là-dessus :
Et une chanson indémodable avec sa meilleure version selon moi :) C'est drôle, sexy, ça respire la joie de vivre, Martha Wash a une putain de voix, RuPaul un corps incroyable :)
Et je finis sur un truc totaaalement différent. Mais je ne sais pas pourquoi, j'ai toujours trouvé cette musique torride. Dans tous les sens du terme.
Est-ce que les weekends sont vraiment fait pour dormir… Ou
pour rattraper le temps perdu avec soi-même ? Dormir, c’est ce que j’avais
planifié. Mais je me suis mise à penser, beaucoup, et cet endroit est le seul
que j’ai trouvé pour formuler ce qui me passait à travers la tête.
J’ai grandi dans la chambre bleue. La chambre au nord. La
chambre de cet enfant fantasmé qui ne serait pas moi. Il ne serait pas elle. Il
s’appellerait Olivier. Et bien sûr la pensée magique est assez forte pour me
faire croire que cet enfant-là n’aurait pas rendu maman malade. La pensée
magique est assez forte aussi pour préférer penser que mon existence ou ma non-existence,
aurait changé quelque chose à ce non sens débile qu’on se pique d’appeler la
vie : je ne comprends pas, et oui, je sais, personne ne comprend pourquoi,
quelqu’un peut souffrir autant sans la moindre raison. Justement, maman me
disait souvent, quand ça n’allait pas, des trucs du genre « on est tous
dans la même galère ». Je trouvais ça stupide, parce que ça changeait rien
à ce que j’éprouvais. Et les années ont montré que si elle y a cru un jour, à
cet adage débile, ça a assez vite cessé d’être le cas.
Au début je croyais que je ne me confiais pas parce je
détestais l’impression de vulnérabilité qui allait avec. L’impression de
laisser l’autre avoir du pouvoir sur vous en lui laissant voir où sont vos
faiblesses. Je crois toujours à ça. Mais c’est aussi parce qu’une part de moi se
refuse à établir des liens, parce que l’attachement est source de toutes les souffrances,
et tout ça. Par contre, je ne crois toujours pas que fondamentalement, j’ai
peur de souffrir. J’ai peur d’être mauvaise.
J’ai peur de faire du mal aux autres par ma simple existence, et en bonne
personne troublée, j’ai tendance malgré moi à rassembler des indices qui vont dans
ce sens exactement à la manière d’une conspirationniste : quand tu veux prouver
quelque chose, tu arriveras toujours à le prouver. Il suffit de chercher assez.
Je doute que ce soit aussi simple, mais je commence à me
demander si mon sentiment fondamental de culpabilité n’est pas la source
principale de mon anxiété chronique. Non, ce n’est pas la bonne façon de le
formuler, parce que ça me fait passer pour une victime et ce n’est pas ce que j’ai
l’impression d’être, ce n’est pas comme ça que je me perçois. L’autre jour F. m’a
dit que j’étais anxieuse parce que j’avais une conscience aigüe de ma mortalité,
enfin à peu près, et il n’avait pas tort. Mais j’ai aussi cette conscience
vertigineuse du hasard incroyable, à la fois absolument magnifique et
complètement maudit qui fait qu’aujourd’hui, je suis coincée dans ce crâne
étroit, comme une toute petite prison remplie de monstres aux griffes affûtées,
et face auxquels je n’ai jamais été beaucoup plus qu’une petite fille
terrifiée, terrorisée à l’idée qu’on l’abandonne. Terrorisée à l’idée de vivre
les épreuves que ma mère a endurées. Terrorisée à l’idée de vivre sa vie.
Je suis la petite fille de la chambre bleue, je ne l’ai
jamais été autant, je suis toujours là-bas, toujours à me demander pourquoi je
suis moi et pas quelqu’un d’autre, toujours à me demander pourquoi les gens
souffrent autant, toujours à rechercher stupidement et désespérément un moyen d’éviter
toute cette souffrance.
La pensée magique me servait, gamine. Un jour, j’ai pleuré
toutes les larmes de mon corps en « sacrifiant » un objet qui m’était
cher, parce que maman me l’avait acheté, à mon « tiroir à prières ».
Symboliquement, dans ma tête, je le donnais à Dieu. En bonne chrétienne, je pensais
que la douleur du geste attirerait l’attention de la divinité.
Et je comprends pourquoi y a des tas de gens qui pensent ça.
Parce que c’est toujours préférable au non sens d’une douleur accidentelle. Ne
pas pouvoir donner du sens, c’est ça, la véritable malédiction.
J’ai cru que je finirai par savoir, par trouver, par
comprendre. Aujourd’hui, hypersensible en début de règles, je porte le pull turquoise
de maman sous ma couette, j’écoute Tamtrum et ce titre qui nomme ce billet, et
je ne cesse de me poser ces questions. Je me demande quand est-ce que ça a commencé.
Je refuse absolument qu’on me voit comme une victime alors la plupart d’entre
vous, oui, même vous qui me lisez là maintenant, ignorez que je pique des
crises d’angoisse parce qu’un monstre m’a pris ma maman. Je sais qu’on est
censé grandir, mais je ne sais pas comment.
M’enfin, même en ne sachant pas comment, comme tout le monde
j’imagine, j’ai grandi. Je trouve ça profondément effrayant d’imaginer comme on
fait tout à tâtons, en faisant semblant de savoir ce qu’on fait alors qu’on en
a aucune foutue idée. Et puis, on avance. Les choses évoluent. La plupart des
choses évoluent. A part cette peur fondamentale, cette peur panique d’oiseau
encagé.
Mais qu’est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je fous ?
Et puis au-delà des terreurs de l’enfance, y a les terreurs
du monde adulte. Il m’est arrivé heureusement plusieurs fois au cours des
dernières années de lire ou d’entendre des pensées qui me confirmaient que je n’étais
pas seule. Des gens qui ont donné des mots à mes frustrations, mes angoisses,
mes révoltes. Des gens qui m’ont rappelé que le monde c’était pas une maison blanche
avec un papa une maman une barrière blanche et des gosses qui rigolaient en bouffant
des yaourts.
Que le monde n’était pas fondamentalement hostile. C’est nous qui le rendons hostile. Avec notre
putain de misère humaine, tellement désespérée qu’on veut à tout prix que
quelqu’un en soit responsable, et sérieusement, ça me fait chier, mais je
comprends pourquoi.
L’histoire de maman m’a brisé le cœur. C’est pas la société
française, bien plus cool quoi qu’en dise les rageux que la plupart des société
aux mondes, c’est pas mes proches, c’est même pas maman, c’est ce qui lui est
arrivé. Ça m’a simplement brisé le cœur, appris que la justice n’était pas de
ce monde, appris qu’il existait des choses contre lesquelles rien ni personne
ne pouvait lutter. En fait ça n’explique pas directement les racines de mon
anxiété mais plutôt de mon pessimisme.
Et encore à ce jour, je ne cesse de penser à mon immense impuissance
et insignifiance, doublées de profonde lâcheté : je ne pouvais rien faire,
alors j’ai fui, le plus loin et le plus longtemps possible. Je ne l’avais pas
vue depuis deux mois quand ce connard de médecin m’a appelée accessoirement
pour me dire que ma mère était morte, principalement pour savoir ce qu’il
devait faire du corps (et non, je déconne pas. J’ai dû insister pour qu’il me
laisse appeler ma sœur avant de décider quoi que ce soit, sachant que papa
était à l’autre bout du monde).
Aujourd’hui j’ai tellement peur que quelqu’un me fasse ce que
je lui ai fait. Je l’ai laissée toute seule et elle est morte toute seule. Je
sais bien qu’elle ne voulait pas que je sois là. Mais elle a vécu la plus
épouvantable des épreuves seule. Je n’étais pas là. Elle est morte toute seule.
Après deux longues années de souffrances, passées presque entièrement au lit.
Parce que je n’ai jamais plus osé la regarder en face après la première fois qu’elle
était morte. J’aurais été plus avec elle si elle n’était pas morte une première
fois. Si elle ne s’était pas réveillée d’entre les morts avec sur le visage la
plus pure expression du désespoir que j’ai jamais vu : pas de la tristesse
à hurler, non. Une immense, opaque et absolue résignation. Mais je crois pas
que ça l’a empêchée d’avoir peur, au dernier moment. Et j’étais pas là, et pas
seulement par hasard : parce que je voulais pas y être. Parce que je me
protégeais d’elle. Alors même que je pense que ça me flinguerait de savoir que
quelqu’un de mon entourage essaie de se protéger de moi. Et oui, oui, je suis
bien la même personne qui vous explique que je méprise les gens qui disent « faites
ce que je dis, pas ce que je fais ». En fait, c’est cohérent, du coup.
Parce que je n’ai jamais eu le courage de mes idées, ni celui de l’amour que j’aurais
dû porter à ma mère.
J'ai écrit ça y a cinq ans et je suis retombée dessus un peu par hasard. Et je me suis dit que ça allait bien pour ce printemps aussi :) (dans les grandes lignes) Voici donc.
J'ai commencé à vieillir.
Ma peau est lourde de rêves en devenir qui frémissent dans
mon sang.
Deux virgules violacées témoignent de mes nuits sous des yeux
brouillés un rien hallucinés.
Tout mon corps s'arrondit en réponses à mes compulsions, mon
cœur tente le silence, ma bouche essaie la parole...
Et mes mains... Mes mains tremblent.
Placide comme l'eau dormante, mon sang même se tarit dans mes
poumons ; l'air, l'air se raréfie, j'aspire des goulées de fumée
ambrée ; je me regarde dans un ciel sans tain...
Et je prie pour la pluie.
Il m'a dit autrefois que j'avais des étoiles sous les ongles
Et moi j'ai continué à gratter le sol
Dans l'espoir idiot de les déterrer enfin
Ses foutues étoiles.
Je suis un point de suspension au bout de la ligne,
Flanquée au bord du néant.
Chaque fois que reviennent les aurores dorées, que l'air
s'alourdit de souvenirs en forme de parfums, que la vibration infime de la
lumière piégée par un feuillage neuf jette un éclat aquatique sur l'herbe,
Je suis vieille à nouveau.
Je suis pleine d'un millier de printemps semblables à
celui-ci, même si avril a des airs
D'apocalypse, même si le temps fatigué
d'attendre entend rétablir sa loi.
Dans mon ventre se nourrissent des créatures qui espèrent exister.
J'écoute, mais je n'entends rien, j'apprends, mais ne retiens
rien.
Et sur mes lèvres court encore le murmure d'un discours qui
ne m'appartient pas
Je flanche – un genou en terre, je demande grâce.
Anonyme, je creuse ma propre tombe au milieu de tous les
autres.
Un orage l'aura balayée, car en vain l'on construit sa maison
sur les fondations du Déluge.
J'écoutais cette même musique en un temps qui appartient déjà
à l'Autrefois, dans la nudité atroce d'une chambre d'emprunt. Elle éveillait la
même fureur vaine et sublime. Elle couchait les mêmes espoirs sur le papier. La
beauté de l'inutile, de l'absence, du vide.
Je voudrais déplier ma peau et mes veines, les millions
d'alvéoles de mes poumons, les milliards de capillarités de mon intestin – et
tout remplir de lumière pure.
Vivre avec l'impression perpétuelle que l'on va mourir, c'est
peut-être cela, au fond, vivre.
J'entends au fond de moi la silence de l'espace. Ce silence
antique qui est la parenthèse, l'écho, et la fin de l'existence. Ce silence
dans lequel s'évanouissent les promesses de l'aube.
Sa froideur possède les tristes richesses d'une oasis que
l'on espère plus.
Un crépuscule de mars bat des ailes à ma fenêtre. En moi, un
vaste silence alors même que la musique se déverse, impétueuse, en trombes dans
ma tête.
Je voudrais m'étendre sous le ciel dans l'herbe parée de
pluie, accueillir le souffle de l'océan, miroiter d'autres univers.
"Rentrez en vous-même. Cherchez la raison qui, au fond, vous commande d'écrire ; examinez si elle déploie ses racines jusqu'au lieu le plus profond de votre coeur; reconnaissez-le face à vous-même : vous faudrait-il mourir s'il vous était interdit d'écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit : dois-je écrire ? Creusez en vous-même vers une réponse profonde. Et si cette réponse devait être affirmative, s'il vous est permis d'aller à la rencontre de cette question sérieuse avec un fort et simple "je dois", alors construisez votre vie selon cette nécessité; votre vie, jusqu'à son heure la plus indifférente, la plus infime, doit se faire signe et témoignage de cette poussée." Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète.