Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé.
C'est un univers morne à l'horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème ;
Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,
Et les six autres mois la nuit couvre la terre ;
C'est un pays plus nu que la terre polaire ;
—Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois !
Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace,
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos ;
Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide.
Tant l'écheveau du temps lentement se dévide !
Charles Baudelaire
Depuis le mois de mai, s'il faut mettre
un nom sur les choses, j'ai vécu dans un état quasi dépressif, ou
plutôt bi-polaire. En dents de scie, sans arrêt. Je crois que je
n'ai jamais été aussi lunatique. J'ai passé des moments tels que
je j'en venais à me demander ce qu'on faisait tous en vie, tant nos
gesticulations me paraissaient ridicules face au poids écrasant de
la tristesse. J'ai toujours été d'un naturel mélancolique, mais
j'ai re-découvert la tristesse à l'état pur, celle qui est laide,
celle qu'il est impossible d'esthétiser, et qui me laisse totalement
démunie. Mon truc, comme dirait je ne sais plus qui, c'est de
transformer la boue en or. Mais je me suis retrouvée face à des
émotions que je me suis aperçue incapable de transfigurer. J'ai
touché le fond plusieurs fois, j'ai même creusé, je crois. Et j'ai
surtout eu l'impression de surnager à la surface. Et j'ai eu de
grandes bouffées d'euphorie, des idées plein la tête, des mots qui
se précipitaient sous mes doigts.
J'en ressors grandie, renforcée. Je
progresse dans mon apprentissage de la sérénité, celle qui permet
de surmonter la vie, non en la fuyant, mais au contraire en la vivant
pleinement, avec tout ce qu'elle peut contenir. C'est ainsi que j'ai
compris Nietzsche : tout vouloir, même le pire. On n'en finit
jamais de grandir. Jamais on n'accumule un savoir total, absolu. On
commets sans cesse des erreurs, et surtout on tâtonne en essayant de
retenir le temps.
Mes histoires... Chantiers ouverts.
Terre éventrée mettant à nue ses entrailles. Mais immobile, en
attendant que les pierres brutes soient sculptées. Attendre de
trouver la sortie du labyrinthe. Le langage s'affaiblit, puis
s'effrite. Toujours à la recherche, désespérée et stupide, de la
prochaine phrase.
L'été est toujours pour moi une
période privilégiée pour l'introspection. D'où sans doute ma
déprime profonde de ces dernières semaines. Cela m'amène
également, chose positive, à revenir sur mes fondamentaux.
L'adolescence. Les premiers amours sont ceux qu'on n'oublie jamais.
Si je dois choisir deux films qui ont
changé ma vie, les voilà.
Requiem for a dream.
Ce film m'a rendu malade. L'impression que j'en garde, c'est ce
souvenir : demain, je dois aller au collège. Et je ne comprends
pas comment je peux accorder une foutue importance à l'école après
ça. Comment réconcilier la vie quotidienne avec l'énorme baffe que
je me suis prise dans la figure. Rien ne me semblait pouvoir réparer
ça. Et aujourd’hui je pense toujours que la vie et ce film sont
irréconciliables.
Dead poets society. Sans
déconner, j'ai pleuré toute la soirée. Je me rappelle que mes
parents m'avaient demandé de faire la salade, et que je l'avais
préparé en pleurant. Heureusement, je n'ai aucun souvenir du dîner,
que j'ai dû écourter. Je me demande maintenant ce que mes parents
ont pensé. Peut-être ont-ils cru à une histoire de cœur. Je
devais avoir quatorze ou quinze ans. Si on m'avait demandé pourquoi
je pleurais, très honnêtement je n'aurais pas su le dire. J'étais
simplement bouleversée. Je le suis toujours rien qu'en y pensant.
C'est quelque chose qui ne s'explique pas, quelque chose qui est à
peine contenu dans le film. The best film ever. C'est tout.
C'est
bon de se retrouver. Quand l'introspection amène à autre chose qu'à
des doutes dévorants et à des angoisses impossibles. Quand on sent
qu'elle donne une force supplémentaire. Une impression d'abondance.
Je suis riche de mondes à venir. J'y travaille avec acharnement, à
pister une phrase après l'autre. Je pourchasse mes rêves. Mes
fantômes qui se défilent. Tous les démons qui parlent avec ma
voix.
Avec tout cela je ne résiste pas et laisse le mot de la fin aux Pink Floyd (autre séisme de mon adolescence)
....
...Des fois je voudrais maudire tous ces gens : (désolée de m'exprimer par films interposés :) Voici ce que je ressens maintenant.