Il faudrait pouvoir créer en permanence. Le vaudrait-il ? Pas si je suis sur cette frontière, ce bord qui canalise et boit toutes mes énergies. Ce serait impossible. Cela me consumerait. Un peu comme si on avait un orgasme qui durait toute une journée. On en mourrait sans doute. Je retrouve le paradoxe de Giono : la joie est si désirable, et pourtant, elle ne peut demeurer. C'est sans doute l'une de ses propriétés essentielles. Elle est éphémère. Rien ni personne ne peut changer cela. Et cela n'empêche pas de le désirer. Peut-être que cette aspiration est très forte chez moi, peut-être qu'elle m'empêche de supporter le vide des nuits blanches. Je veux toujours de la joie, de l'extase, de la folie, des hallucinations. Je veux toujours déborder. C'est comme une nécessité vitale qui porte pourtant le germe de sa destruction. Peut-être devrais-je apprendre le calme et le détachement. Peut-être devrais-je apprendre à vivre sans la frénésie. Mais je la provoque, je la cherche, je l'entretiens, je ne la quitte qu'en pleurant. Parce qu'elle me semble si précieuse. Et cela, au moins, j'en suis sûre, n'est pas une erreur. L'erreur est peut-être de trop la traquer, de l'acculer, de se sentir vide sans elle. J'ai l'impression de perdre chaque instant où elle pourrait être là, mais n'y est pas. Il y a beaucoup de texte que j'écris ivre. Je n'ai pas à strictement parler besoin de cet état. Disons qu'il est un déclencheur comme l'est une oeuvre d'art ou un paysage naturel. J'ai besoin d'être nourrie et provoquée, je suis affreusement demandeuse. Je suis une espèce de monstre qui règne dans sa part d'ombre protégée, à réclamer plus d'extase pour enfanter plus de monstres. Ça me semble inaliénable. Même si je trouve plus de sérénité, je ne crois pas que ce terrible appétit disparaîtra. C'est aussi sans doute lié à ce à quoi je m'occupe toute la journée. Toute la journée, j'apprends, j'absorbe. J'assimile des concepts, je m'approprie des définitions, je reçois des trombes de savoir, et tout cela ne cesse de stimuler ce qu'il y a d'irrationnel et de mystique en moi. Cela ne fait que raviver perpétuellement mon goût de l'infini. Et quand le soir arrive et que mon travail est terminé, il faut lâcher la bête. Cette chose féroce qui n'a qu'une seule finalité : créer. Car la création est pour moi beaucoup plus qu'une catharsis. Je ne fais pas qu'évacuer, sublimer, soulager. Je crée parce que je le dois, autant que de respirer. Je n'ai pas mis au hasard ces mots en exergue de mon blog. "Rentrez en vous-même. Cherchez la raison qui, au fond, vous commande d'écrire ; examinez si elle déploie ses racines jusqu'au lieu le plus profond de votre coeur; reconnaissez-le face à vous-même : vous faudrait-il mourir s'il vous était interdit d'écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit : dois-je écrire ? Creusez en vous-même vers une réponse profonde. Et si cette réponse devait être affirmative, s'il vous est permis d'aller à la rencontre de cette question sérieuse avec un fort et simple "je dois", alors construisez votre vie selon cette nécessité; votre vie, jusqu'à son heure la plus indifférente, la plus infime, doit se faire signe et témoignage de cette poussée." Ma vie est le signe et témoignage de cette poussée. Ça me rend folle. Mais ce sens absolu du devoir est ma plus grande chance. Je me demande toujours comment on vit sans. Mais comme un animal en cage se demande comment on vit libre, comme un animal sauvage se demande comment on peut vivre en captivité. Je n'ai rien choisi et cette impulsion ne m'appartient pas. J'aime m'imaginer qu'elle provient d'une chose plus importante que moi, que vous, que nous. Ce n'est qu'une vue de l'esprit. Je ne crois pas à « l'illusion ». Je ne crois pas à la « réalité ». Je ne crois qu'en cette impulsion. Je suis aveugle dans cette aberrante lucidité. Je suis heureuse. Je suis complète. Je suis une entité qui se déploie. Je suis plus mère que toutes les mères. Je sais ma chance. Je la chéris. Je la soigne. Je ne laisse rien ni personne s'interposer entre moi et elle. Je suis égoïste. Mais je sens plus profondément que moi-même que c'est ma vie. J'espère que je m'en souviendrai à l'heure de ma mort, histoire de ne rien regretter. Je suis beaucoup plus lumineuse que la plupart des gens, et ceci probablement parce que mes ténèbres sont plus noires que les leurs. Je suis narcissique. Je suis sans doute bornée. J'ai la foi. Et c'est parce que tout cela est tellement fragile que j'y crois.
Je ne crois à aucun discours, aucun système, aucune idéologie. Je ne porte crédit qu'aux discours de la science et à ceux des mystiques.
C'est dur d'être aimé par des cons
Il y a 9 ans