Peu dormi cette nuit, après un week-end de lâcher prise avec des amis, et des moments précieux. Mais je n'ai pas envie de me coucher. Mathias et Nathalie me manquent ce soir, plus fort que d'habitude encore, je le sens physiquement. Sans eux je vis sans une partie de moi. Personne à part Scott ne me manquera comme ils me manquent. Du coup, je me sens mélancolique, pensive. Je commence à compter les jours avant de partir au Québec.
De toute façon j'attends la nuit, j'attends que la chaleur baisse, j'attends que le jour prenne fin. Trop de lumière. Chaleur lourde. Le jour est oppressant. J'ai envie de m'égarer sur des chemins plus amicaux, noirs et frais, où l'imagination s'élance librement pour modeler le silence.
La fatigue m'aide à rencontrer mon émotion. Nathalie a dit que j'aimais vivre de façon chaotique. Je ne sais pas si j'aime, mais je crois que je ne sais pas tellement vivre autrement. Une des raisons pour lesquelles j'ai du mal à me voir vivre avec quelqu'un d'autre que Scott.
Bonne résolution : arrêter de me plaindre et vivre en assumant mes conneries, en assumant ma difficulté à vivre. Vivre. A ma façon et de mon mieux.
Quand j'essaie d'expliquer à mes amis ce qui est peut-être de l'alcoolisme, je suis juste et à côté à la fois. Je n'y vois pas clair dans ce problème. Mais la première étape est d'accepter ce qu'on est et ce qu'on fait. Après, on peut choisir de changer, ou pas. La santé est importante mais elle est fragile quoiqu'on y fasse. Et la santé ne comble aucun vide. La santé n'aide pas à écrire. La santé fait partie d'un mode de vie auquel je n'atteindrai jamais tout à fait. Tirer des plans sur la comète est inutile. Il faut que j'arrive à me débrouiller, maintenant. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu l'impression de grandir. Ce soir, j'ai cette impression. Je dois me débrouiller seule, à ma façon, et selon mes moyens. Mais je peux le faire. Même si ce n'est pas aussi bien que ce que je pense qu'on attend de moi. Je dois m'en tenir à des objectifs, à des faits. Je veux écrire, je dois écrire. A moi de me débrouiller pour trouver comment. Je ne me connais pas, en fait. Je ne sais pas ce que je peux faire et selon quelles modalités, pour quelque chose qui ne m'est pas expressément demandé, quelque chose que je mets en place toute seule. Je m'aperçois que je ne sais pas comment faire, comment me gérer, comment m'épanouir pleinement. Je dois d'abord trouver ce qui me correspond vraiment, trouver mon rythme et ma manière. Je comprends maintenant que c'est aussi ça, être écrivain. C'est savoir comment écrire, selon sa personnalité, ses contraintes, ses envies, ses ennuis, ses problèmes. Je m'aperçois que je n'ai pas trouvé la vie qui me convenait. Et il est temps. J'arrête les errances, et je travaille sur ce que je veux vraiment, et les moyens de mettre ça en place. J'ai envie de passer à autre chose. De devenir ce que je suis. A vrai dire, je ne pensais pas que le chemin était si long. J'avais naïvement pensé avoir atteint une certaine maturité. Mais c'est faux. C'est un chemin qui traverse toute la vie, et je suis certaine que si j'atteins la quarantaine, la cinquantaine, et après, j'aurai toujours cette impression de grandir.
J'en ai assez de culpabiliser, et d'être insatisfaite. Je veux vivre ma vie. Je veux être moi-même. Je veux donner tout ce que j'ai, car si je ne le fais pas, ma vie n'a pas de sens. C'est ma réponse au dilemme d'Antigone. Je dis oui, mais je m'engage à devenir ce que je suis. La vie, en dehors de ce que je peux y mettre, de ce que je peux en faire, c'est une énorme blague de mauvais goût, c'est moche, et ça peut me mettre au fond du trou rien que d'y penser, cette mélasse quotidienne, cette lassitude, cette monotonie, ce dégoût progressif qui nous ronge jusqu'à ce qu'on ne devienne que des ombres de nous-mêmes. Je suis terrifiée par ça. Tellement terrifiée que je le provoque. En face de la possibilité d'un échec, le provoquer, c'est s'assurer la certitude d'avoir mal. Peut-être est-il plus facile de vivre en se montant la tête avec des futures douleurs, plutôt que de plonger dans l'inconnu, de ne croire à rien, pas même à son propre malheur, pas plus qu'à son propre bonheur. L'inverse est plus difficile, croire à son propre bonheur, c'est s'exposer à de grandes déceptions. Mais marcher en aveugle, c'est peut-être ça qu'on n'arrive pas à faire. Ne dire ni oui, ni non. Vivre. Epuiser sa vie, la consumer, la boire jusqu'à la lie. Sans se demander si on s'empoisonne ou bien si on s'enivre. Je ne supporte pas la fadeur, je n'ai pas envie de devenir fade, résignée, habituée, bien dressée à accepter la misère d'une vie soutenue par des béquilles et lestées par mille fardeaux. C'est au-dessus de mes forces. Je veux vivre. Et ce mot n'implique pas pour moi des devoirs, des responsabilités, des horaires, un bon comportement. Non, ça implique de se jeter dans le gouffre du hasard. D'assumer de ne pas être parfait. De ne pas chercher à être ce qu'on n'est pas. D'habiter son corps jusque dans les moindres extrémités. De pleurer et de rire avec sincérité. Il n'y a aucune règle, aucune loi, aucun schéma de vie. Il n'y a que ce qu'on en dit, et ce qu'on en fait. Je l'avais oublié. Comment ai-je pu ? Mais j'ai oublié. J'ai culpabilisé. Je me suis morfondue. J'ai essayé d'être plus correcte. J'en ai plus qu'assez de cela.
Je dirais que s'il y a un grand mal à notre époque, c'est la culpabilité. On peut choisir le genre de vie qu'on veut, en théorie. En vrai, on aspire tous à des standards. J'en ai plus qu'assez de réduire mes ambitions à un schéma de société.
Je veux devenir ce que je suis.
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