Drinking : a beer
Listening : Smashing Pumkins - Raindrops and Sunshowers, Anathema - Balance, Indochine - Venus, Deine Lakaien - Wonderbar
Ce soir, je me sens aussi crevée que si j'avais couru toute la journée, ce qui n'est pas à proprement parler exact. J'ai fait la queue à des endroits divers et variés, et c'est à cette occasion que j'ai entendu cette phrase qui valait le coup qu'on la note, je pense : "T'écoutes de l'électro ?! Mais t'es trop perdu dans ta vie, faut qu'on t'achète un GPS !" La profonde stupidité de cette phrase est selon moi quelque peu rattrapée par son originalité, qu'en pensez-vous ? :)
En dépit de cette introduction, c'est encore pour partager des mots que j'écris ici. Je crois que Doudou a lu Jean Giono. J'étudie Que ma joie demeure, mon préféré, pour mon mémoire (aux côtés de Tropique du cancer d'Henry Miller, et Les Vagues de Virginia Woolf). Déjà, ce titre, que ma joie demeure, me laisse rêveuse. Mais encore, de même que le personnage de Bobi est un guérisseur, au sens moral comme physique, le bouquin agit de même. Il nous parle de notre malheur d'être si vide, et de n'entendre plus le "chant du monde". Il nous parle de notre ennui, de notre mélancolie sans objet, de notre perte du sens de l'inutile. Et il nous parle de la joie. J'insiste là-dessus. Ni du bonheur, ni de l'extase. De la joie. La joie "peut demeurer", se dit Jourdan. Et le livre nous enseigne, sans règles ni didactique, à conserver cette joie, dans ce monde triste où les personnages comprennent comment le peupler, comment se réconcilier avec eux-mêmes et avec le monde.
« L'homme, on a dit qu'il était fait de cellules et de sang. Mais en réalité il est comme un feuillage. Non pas serré en bloc mais composé d'images éparses comme les feuilles dans les branchages des arbres et à travers desquelles il faut que le vent passe pour que ça chante. »
« Je crois que le malheur c'est comme une maladie que nous faisons nous-mêmes (...) Ce que nous voulons, il semble que le monde entier ne le veut pas. Il semble qu'il le fait par force. Ça a dû nous donner un dégoût de tout, à la longue. Ça a dû obliger notre corps à une fabrication quelconque, est-ce qu'on sait ?... Le monde nous oblige bien à faire du sang. Nous fabriquons peut-être, sans le savoir, un sang spécial, un sang de dégoût et, au lieu de charrier dans notre corps partout, aux bras, aux cuisses, au coeur, au ventre et aux poumons un sang d'appétit, notre grand tuyautage nous arrose avec du sang de dégoût. »
...
« Les lueurs allongeaient des avenues où ne pouvaient passer que des rêves et qui s'enfonçaient sous les arbres ou montaient vers le ciel. » ... « De tous les côtés on voyait les profondeurs magiques de la maison du monde. »
La seule lecture de Giono me réconcilie avec le monde. Elle me fait prendre conscience des moments où je ne sais pas vivre. Savoir vivre. Aimer vivre. Façon de vivre. Autant de choses qui ne dépendent que peu du monde et des circonstances, mais de nous et de notre façon de nous y inscrire...
La poésie me sauve. Les mots me sauvent. Ils forcent le chemin vers ma liberté. Quand je lis Giono, je sens, comme il le dirait, les graines de mes ailes qui poussent contre mes os.
Alors, il y a peu de lumière, mais je peuple la soirée de lanternes que j'aligne pour faire comme une avenue où ne peuvent passer que des rêves.