jeudi 19 novembre 2009

Journée d'étude




Aujourd'hui, j'ai assisté à l'intervention d'un traducteur qui a une ressemblance frappante avec Sméagol.

De plus, il est presque aussi petit qu'un hobbit. Et il a une manière curieuse de vous regarder, la tête penchée de côté, comme si son regard servait de point final, ou de point de suspension, à la phrase qu'il venait de dire.
Et surtout, en une heure, j'en ai appris plus sur Crime et Châtiment, de Dostoïveski, qu'en un l'espace d'un semestre. Ce traducteur a traduit l'intégrale de Dostoïveski, faut le faire.
ça a été un moment d'émerveillement, car ce type est amoureux des mots, il goûte la langue, il traduit le sens profond du livre plus que toute autre chose. Il ne lit pas une première fois le livre qu'il va traduire. Il le traduit au fur et à mesure, et quand il tombe sur des "trucs bizarres", il ne les touche pas, car c'est souvent là que réside le sens de l'oeuvre. Ainsi, il s'est aperçu que D. utilisait un mot unique pour l'adjectif "lourd", qui veut dire aussi d'autres choses en russe, et donc parfois se retrouve dans un contexte bizarre. Idem pour le mot "puanteur", qui peut vouloir dire souffle ou esprit, et le mot marcher, qui peut vouloir dire une action, une décision. Et c'est l'emploi répété que D. fait de chacun de ces mots, en les utilisant plutôt qu'un autre, qui aurait été plus précis, qu'il donne son sens à l'oeuvre. Fascinante exégèse, je vous conseille plus que jamais de lire ce roman, déjà troublant, mais malheureusement je n'avais pas lu la traduction de Markowicz.

Et cette après-midi, nous avons débattu de ce que devenait la subjectivité dans la lecture dite experte, un sujet passionnant qui m'a donné quelques idées pour l'asso et nos critiques de textes...
J'avais oublié à quel point l'université peut être passionnante, et ce que c'est bon de rencontrer des gens amoureux avant tout...

mardi 17 novembre 2009

Que ma joie demeure

Drinking : a beer
Listening : Smashing Pumkins - Raindrops and Sunshowers, Anathema - Balance, Indochine - Venus, Deine Lakaien - Wonderbar

Ce soir, je me sens aussi crevée que si j'avais couru toute la journée, ce qui n'est pas à proprement parler exact. J'ai fait la queue à des endroits divers et variés, et c'est à cette occasion que j'ai entendu cette phrase qui valait le coup qu'on la note, je pense : "T'écoutes de l'électro ?! Mais t'es trop perdu dans ta vie, faut qu'on t'achète un GPS !" La profonde stupidité de cette phrase est selon moi quelque peu rattrapée par son originalité, qu'en pensez-vous ? :)
En dépit de cette introduction, c'est encore pour partager des mots que j'écris ici. Je crois que Doudou a lu Jean Giono. J'étudie Que ma joie demeure, mon préféré, pour mon mémoire (aux côtés de Tropique du cancer d'Henry Miller, et Les Vagues de Virginia Woolf). Déjà, ce titre, que ma joie demeure, me laisse rêveuse. Mais encore, de même que le personnage de Bobi est un guérisseur, au sens moral comme physique, le bouquin agit de même. Il nous parle de notre malheur d'être si vide, et de n'entendre plus le "chant du monde". Il nous parle de notre ennui, de notre mélancolie sans objet, de notre perte du sens de l'inutile. Et il nous parle de la joie. J'insiste là-dessus. Ni du bonheur, ni de l'extase. De la joie. La joie "peut demeurer", se dit Jourdan. Et le livre nous enseigne, sans règles ni didactique, à conserver cette joie, dans ce monde triste où les personnages comprennent comment le peupler, comment se réconcilier avec eux-mêmes et avec le monde.
« L'homme, on a dit qu'il était fait de cellules et de sang. Mais en réalité il est comme un feuillage. Non pas serré en bloc mais composé d'images éparses comme les feuilles dans les branchages des arbres et à travers desquelles il faut que le vent passe pour que ça chante. »
« Je crois que le malheur c'est comme une maladie que nous faisons nous-mêmes (...) Ce que nous voulons, il semble que le monde entier ne le veut pas. Il semble qu'il le fait par force. Ça a dû nous donner un dégoût de tout, à la longue. Ça a dû obliger notre corps à une fabrication quelconque, est-ce qu'on sait ?... Le monde nous oblige bien à faire du sang. Nous fabriquons peut-être, sans le savoir, un sang spécial, un sang de dégoût et, au lieu de charrier dans notre corps partout, aux bras, aux cuisses, au coeur, au ventre et aux poumons un sang d'appétit, notre grand tuyautage nous arrose avec du sang de dégoût. »
...
« Les lueurs allongeaient des avenues où ne pouvaient passer que des rêves et qui s'enfonçaient sous les arbres ou montaient vers le ciel. » ... « De tous les côtés on voyait les profondeurs magiques de la maison du monde. »

La seule lecture de Giono me réconcilie avec le monde. Elle me fait prendre conscience des moments où je ne sais pas vivre. Savoir vivre. Aimer vivre. Façon de vivre. Autant de choses qui ne dépendent que peu du monde et des circonstances, mais de nous et de notre façon de nous y inscrire...
La poésie me sauve. Les mots me sauvent. Ils forcent le chemin vers ma liberté. Quand je lis Giono, je sens, comme il le dirait, les graines de mes ailes qui poussent contre mes os.
Alors, il y a peu de lumière, mais je peuple la soirée de lanternes que j'aligne pour faire comme une avenue où ne peuvent passer que des rêves.